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Célestin Adolphe Pégoud (1889 - 1915)
[Le « casse-cou » du village.] [L’aventure parisienne.] [L’appel de l’air.] [Troisième pilote chez Blériot.] [Le Perchoir..] [Mais s’il n’y laisse pas sa peau…] [Looping the loop or not looping the loop.] [Un Grand S dans le ciel] [Demandez le programme !] [Un émule en Russie, qu’est-ce à dire ?] [Début de la tournée européenne : Brooklands.] [Pégoud volera dimanche pour les lecteurs du" Matin"] [Vienne acclame Pégoud, Berlin le réclame] [Que valent les expériences de Pégoud?] [L’exécution du « looping en vrille "] [Mais qui est Pégoud ?] [Prague, Bruenn , Trieste, Zagreb] [Une curieuse affaire de sabotage] [ Un point d'histoire aérienne fut fixé] [ Ni la croix ni l’Amérique pour Pégoud ] [Mobilisé à Verdun ] [ Au-dessus du Luxembourg ] [De Verdun à Maubeuge] [ Missions offensives à la MF 7 ] [ Missions de bombardement ] [23 janvier 1915 ] [Trois victoires le 5 février ] [A la MS 49 sur le front de la 7e armée.] [ Metzeral ] [ Un nouvel appareil Nieuport X ] [Dernier combat ] [A la mémoire de Pégoud.]
En l’appelant Célestin —du latin cælestis venu du ciel— ses parents n’imaginaient sans doute pas son destin hors du commun.

Célestin Adolphe Pégoud, portrait recomposé. Pégoud n'a jamais porté ses cinq décoration de son vivant.
Le « casse-cou » du village. Dans la maison paternelle Célestin Adolphe né le 13 juin 1989, est le quatrième enfant d’Etienne et Marie, agriculteurs propriétaires à Montferrat.
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Une ferme modeste un peu en hauteur au flanc de la colline, sans doute une agriculture vivrière, complétant les revenus du père que l’on voit tisserand sur certains documents, Montferrat en ces années comptant six usines de tissage de soie. L’enfant du village que l’on nomme « casse-cou » se fait remarquer par quelques exploits : une « caisse à savon » de sa fabrication le transporte à l’école, dont les mères de famille protégeaient leurs enfants —« Laisse passer le fou avant de descendre à l’école »—. Telle est la tradition orale, confortée par une interview du maître d’école : « - Je ne peux garder un élève qui arrive en classe en descendant par la cheminée, qui fait le singe au fait du plus haut peuplier, qui sème la terreur au pays avec sa carriole diabolique et qui se sauve par les toits dès qu'on l'enferme pour le punir ». [ NDR: Rapporté le 17 Janvier 1939 dans Paris Soir ].
Malgré cela, Célestin, ce n’est qu’à l’âge adulte qu’il choisira de se faire appeler par son deuxième prénom, -Adolphe, est assez bon élève : Son carnet de chant, aujourd’hui conservé au Musée C.A. Pégoud de Montferrat (38) porte à la date du 11 août 1900 cette annotation : Tenue du cahier : Assez bien. La cursive qui a copié les chants à majorité patriotiques est bien lisible. Et « Rococo », une rare comptine d’enfance, a droit à sa portée de notes. Certificat d’études en poche à 12 ans Célestin ne veut pas reprendre le métier de son père. Il sera placé en apprentissage chez son parrain, boucher à Virieu-sur-Bourbre. Mais l’apprentissage ne se passe pas bien, les relations avec le boucher, père de trois filles, s’enveniment. Tant et si bien que Célestin décide un beau jour de partir vivre sa vie à Paris. |
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L’aventure parisienne. A 14 ans le voilà parti à l’aventure. Il en reviendra à 18 ans sans que l’on connaisse ses occupations pendant ces quatre années. Ce que l’on sait c’est qu’il a été pris en affection par un couple parisien sans enfant, M. et Mme Crémot qui dès lors joueront un important rôle dans la vie de Célestin, allant même jusqu’à se considérer comme ses parents adoptifs. Les plus sévères disent qu’il a vécu d’expédients, les autres de « petit boulots » : vendeur à la sauvette, joueur de mandoline aux terrasses des cafés… Bref, on ne sait rien. |
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18 ans, c’est l’âge du service militaire. Célestin se présente à Saint-Geoire-en-Valdaine et signe un engagement militaire de cinq ans au 5e Régiment de Chasseurs avec lequel il part à Mustapha le 8 août 1907. Un an plus tard, il est affecté à sa demande à Casablanca puis au Camps de Boucheron situé à 125 km plus au sud où il prendra part à la campagne du Maroc. Il en reviendra avec la médaille commémorative du Maroc, mention Casablanca.
Affaibli par la fièvre paludéenne, il est évacué en Algérie jusqu’au 23 janvier 1909. Puis rapatrié en France, affecté au 12e Régiment de Hussards en garnison à Gray pendant un an. Après un stage à l’école de Cavalerie de Saumur, il est muté à sa demande au 3e Régiment d’Artillerie Coloniale de Toulon (Var). C’est là qu’il va faire une connaissance décisive : celle du capitaine Louis Victor Carlin avec lequel il va se lier d’amitié.
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L’appel de l’air. Pilote breveté le capitaine Carlin (Brevet ACF n° 554), muté au Camp d’aviation de Satory n’a de cesse de persuader Adolphe Pégoud de faire son baptême de l’air. Le 17 octobre 1911, Carlin fait monter Pégoud à 2 900 mètres, expérience dont il reviendra enthousiasmé comme il l’écrit à ses parents : : « Vous décrire la sensation ainsi que la joie ressenties pour mon premier voyage en aéroplane est impossible, et je ne saurais le faire. Hier matin, j’ai volé une heure et demie à 2 900 mètres d’altitude. C’est vraiment beau et imposant. Regardez plutôt cet oiseau d’acier dans sa pleine stabilité, bravant le vide et l’espace ». Dès lors il veut prolonger son engagement et intégrer une école de pilotage. Mais simple brigadier, il ne peut y prétendre, l’aviation militaire étant alors réservée aux seuls officiers. Par chance Carlin qui dirige la nouvelle école d’aviation militaire de Bron (69) réussit à faire entrer Adolphe à l’école civile du même terrain d’aviation. Louis Plantier sera le maître qui le mènera au brevet de l’ACF en peu de temps. Brevet 1243 du 1er mars 1913 sur Henry Farman.

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Louis Plantier chef pilote à Bron |
Troisième pilote chez Blériot Muni de son brevet, il se présente d’abord chez les frères Voisin. Gabriel le juge peu disposé —c’est un euphémisme puisqu’il veut être « pendu par les oreilles » si Pégoud devient un aviateur— et ne le garde pas.
Hangar Blériot en 1912
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Février 1913 livraison au
centre d'Avord de 10 Blériot XI
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C’est chez Louis Blériot qu’Adolphe sera engagé comme troisième pilote, on dirait aujourd’hui pilote d’essai. Après avoir « vaincu la Manche » Louis Blériot a acquis célébrité et début de fortune. Un terrain d’aviation avec un hôtel pour loger les élèves de son école viennent compléter ses ateliers de fabrication. Industriel avisé, il livre aussi bien les civils passionnés que l’armée qui s’intéresse aux débuts de l’aviation. Diplômé, certes, Pégoud doit apprendre le métier. Ce sera la charge d’Edmond Perreyon, chef pilote, récent titulaire du record d’altitude avec plus de 5 000 mètres, et de John Domenjoz son adjoint suisse. Et Pégoud apprend vite, si vite que Blériot en fait le responsable des relations avec les militaires. Le 21 juin 1913, le Capitaine Jacques Faure et les Lieutenant Marie et Gouin ont rejoints à Buc par la voie des airs, venant de Saint-Cyr, la commission des marchés de l'établissement de Chalais-Meudon, composée du Capitaine Destouches, des lieutenants Marcel Boucher, Edmond Gaubert. Ils viennent procéder à la réception du Blériot XI biplace en tandem que l’aviation militaire veut adopter et adoptera après les essais.
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Edmond Perreyon sur Blériot XI
John Domenjoz
Pégoud à Buc en compagnie de Domenjoz (à droite) et un élève mexicain (à gauche)
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Le Perchoir Blériot le choisit également comme démonstrateur d’un prototype de son invention : l’aéroplane à trolley qu’Adolphe va surnommer « le perchoir ». Le projet, à destination de la Marine doit permettre d’embarquer des avions sur un cuirassier et de leur permettre d’en « décoller » et d’y « atterrir ». C’est sur un filin arrimé entre deux tangons le long de la coque du navire que le Blériot doit venir s’accrocher avant d’être hissé sur le pont. Pour la démonstration le câble est tendu à terre entre deux poteaux. Un dispositif en V permet d’engager le câble qui est fixé par un clapet. Pour démarrer, l’avion prend de l’élan et se libère. Le journal L’aérophile du 1er août souligne que « l'ingénieux système imaginé par Blériot n'en constitue pas moins un progrès réel dans les applications de l'aéroplane aux besoins de l'armée navale ». Le Ministre de la Marine, Pierre Baudin, et les amiraux Davien et Le Bris assistent à la réussite de la démonstration, mais l’armée n’achètera pas…
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Mais s’il n’y laisse pas sa peau… Le 5 août 1913 l’aérostier Philippe Bonnet s’était présenté et avait proposé à Adolphe d’expérimenter le parachute dont il est l’inventeur. Avec un parachute de 11 mètres de diamètre doté d’un dispositif qui en favorise l’ouverture et extrait le pilote de son poste de pilotage, Bonnet avait déjà obtenu le prix Lalance de 5 000 francs, en faisant sauter en parachute un mannequin d’une montgolfière. Il manquait une expérience humaine le pour confirmer comme dispositif de sauvetage d’un pilote en détresse. Elle aura lieu le 19 août 1913
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En plein vol d'une hauteur de 250 mètres l'avateur Pégoud quitte son aéroplane et atterrit en parachute. Tandis que l'aéroplane piquant du nez, se cabrant, remontant, venant se briser sur le sol. Pégoud descendant tout doucement venait se poser au milieu des hautes branches d'un arbre, le vent ayant entrainé la parachute au-dessus de la forêt. |
Après un échec le 16 août, dû à un moteur pas assez puissant ou une hélice sous-dimensionnée —les témoignage ne concordent pas— ce sont des gendarmes qui, sur ordre du préfet veulent s’oppose au décollage du Blériot bricolé pour l’occasion. [NOTE. -23 septembre 1913 L'Aéro. La maison Anzani nous prie de faire savoir qu'elle se voit dans l'obligation de déposer une plainte contre inconnu au sujet d'un moteur 5 cylindre modèle 1911 n° 833 qu'elle avait prêté à M. Bonnet et qui a servi à Pégoud à réussir son expérience de parachute le 19 août dernier à Châteaufort.] Devant la bronca qui se lève, car nombreux sont les spectateurs qui se sont déplacés, y compris les journalistes, les photographes et les actualités cinématographiques Pathé, Gaumont et Eclair, les gendarmes décident d’en référer au maire puisque l’expérience doit se dérouler en terrain privé. Constatant que le préfet n’a pas autorité en l’espèce, le maire donne le feu vert.« Epatant ! Je monte à 100 mètres et me dirige droit sur la vallée, je décris un grand cercle et reviens face au vent. Je déclenche en piquant : le parachute se déploie en deux secondes. Après, je suis arraché le long du fuselage prenant un bon coup de stabilisateur dans l'épaule. L'appareil se dérobe. Mon parachute se tient étonnamment, malgré plusieurs cordes cassées. Je fais de la balançoire pendant que mon coucou fait le guignol tout seul. Ce gaillard-là, quand je l'eus débarrassé de ma personne, se sentant plus léger, pique, remonte verticalement, glisse sur l'aile, se rétabli, repique, se redresse, repique encore et s'écrase chez M. Quesnel. Moi, doucement, en père Peinard, je vais m'enchâsser dans la forêt »! Pégoud n’a pas perdu sa bonne humeur après cet exploit fantastique, comme le rapporte Le Matin : « Au moment où l'aviateur a fait son a-bois-issage, les quelques spectateurs de cette fantastique expérience, les habitants de Châteaufort se sont rués vers la place qu'il occupe dans les arbres. Pégoud crie – « Je suis là je n'ai rien ». On accourut vers lui. Pégoud s'est tranquillement « posé " à la fourche d'un arbre de quinze mètres de haut, les jambes entourant le tronc. L'interview s'impose. Elle rappelle un peu celle du renard et du corbeau. Les mains en cornet, nous crions - Rien de mal ?. - Rien aucune égratignure ; - Votre impression ?. -Epatant . Et Pégoud se met à rouler la cascade d'un rire joyeux. -Mais là-haut? -Quoi, là-haut? -Oui, comment avez-vous fait pour être là ? - Eh bien, mais je me suis accroché à une haute branche et je suis descendu. Pégoud rigole toujours. » A la suite de cette expérience, le ministre de la guerre a demandé au général Hirschauer, responsable de l’aviation militaire, d'étudier l'appareil. Convoqués MM. Bonnet et Pégoud assurent que de nouveaux essais seront faits prochainement en présence des autorités militaires. Blériot qui avait menacé l’intrépide du renvoi lorsque la rumeur l’avait alerté, n’exécutera pas sa menace, et gardera son pilote dont la notoriété grandit. Néanmoins il n’hésite pas à se mettre en porte-à-faux en soutenant une option différente, ce qu’il appelle la première solution: « Deux solutions ont été surtout proposées : La première catégorie d'inventeurs émet la proposition de sauver l'aviateur avec l'aéroplane, si l'on peut s'exprimer ainsi, au moyen d'un parachute de grande dimension capable de freiner un poids de cinq cents kilos. La deuxième catégorie n'attache d'importance qu'au sort de l'aviateur seul, négligeant le danger que peut présenter pour le pauvre terrien l'appareil abandonné à son triste sort.[…] On a beaucoup parlé de l'expérience de descente en parachute exécutée, il y a quelques jours, par Pégoud l'un de mes pilotes d'école. A mon avis, elle prouve surtout une chose: la témérité de l'aviateur ».
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L'aérostier Bonnet inventeur du parachute expérimenté par Pégoud.
L'avion s'est écrasé après le saut de Pégoud
Carte postale synthétisant l'expérience du parachute
Pégoud et Bonnet
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Looping the loop or not looping the loop ? « Mon parachute se tient étonnamment, malgré plusieurs cordes cassées. Je fais de la balançoire pendant que mon coucou fait le guignol tout seul. Ce gaillard-là, quand je l'eus débarrassé de ma personne, se sentant plus léger, pique, remonte verticalement, glisse sur l'aile, se rétabli, repique, se redresse, repique encore et s'écrase chez M. Quesnel. Moi, doucement, en père Peinard, je vais m'enchâsser dans la forêt »! C’est ce qu’il écrit dans ses Carnets, mais les journalistes rapportent d’autre propos : « Je l’ai vu faire, tout seul, le looping the loop. Vous voyez donc bien que c’est possible. Aussi, vais-je le tenter !». Mieux même trois jours avant, le 16 août, selon le journaliste du Matin « Cet homme extraordinaire, qui tente de pratiquer le parachute, fait établir un aéroplane pour faire en l'air le looping the loop. ». Quel est donc ce looping annoncé trois jours avant le saut en parachute, looping de l’avion abandonné vu par Pégoud et quelques journalistes, mais que l’on ne voit pas sur le film Pathé ? A l’époque il y a looping et… looping et c’est ainsi que l’on qualifie souvent un retournement de l’appareil, comme celui arrivé brusquement au lieutenant Morel dont l’appareil se rétablit seul, ou au capitaine Madon qui renversé sur lui-même, agrippé à la cloche de son appareil réussit à redresser le vol , ou encore au capitaine Aubry qui prétendra avoir appris cette figure à Pégoud. « Enfin, comme l’écrit le journaliste du Matin , le jour de l'expérience du parachute par Pégoud, l'appareil, abandonné, accomplit un magnifique tour sur lui-même ». Pour boucler la boucle, il faudra encore quelques semaines. Ce qu’annonce l’entrefilet du 1er septembre dans les colonnes de L’Aérophile : "Pégoud est un homme déconcertant de sang-froid. Il veut faire le looping the loop à 1 000 mètres d'altitude et la firme Blériot lui construit à cet effet un appareil spécial ". S’agit-il d’un programme d’expériences concocté avec Blériot qui déclare : « -Lorsqu'il sera prouvé qu'un bon appareil d'aviation doit pouvoir se retourner complètement en l'air, voler sur le dos et se rétablir instantanément à la volonté du pilote, il me semble que l'on aura fait faire un pas considérable à la question de la sécurité ». Ce à quoi Pégoud va consacrer quelques essais, d’abord en s’entrainant au sol, puis, en secret de Blériot, accomplissant deux tentatives. |
Georges Madon au poste de son Blériot XI
Aubry qui aurait enseigné le looping à Pégoud!
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Un Grand S dans le ciel Le 27 août, Pégoud fait renverser un avion sous un hangar à Buc pour s’entrainer la « Tête en bas ». Il écrit: « Essai de l'acrobe de looping à la renverse, la tête en bas, aux points fixes, sur tréteaux. Epatant ! Merveilleux ! La tête en haut cela devenait rasoir. All right ! ». Il est prêt. Le 1er septembre devant un parterre restreint car Blériot voulait que ces exercices soient exécutés sans publicité, Pégoud se prépare à décoller et déclare : « Qu'importe si je meurs, ce ne sera qu'un aviateur de moins; mais si je réussis, combien d'existences précieuses seront conservées à l'aviation? ». Il renouvelle à Buc le surlendemain ces figures au cours d’une exhibition préparée et médiatisée : le colonel Ramazotti , adjoint du général Hirschauer, le colonel Bouthieux, de nombreux sportsmen civils — le docteur Quinton, président de la Ligue aéronautique, Leblanc, Boileau, Goux— et aviateurs militaires — les capitaines Marconet, Camerman, Dô -, beaucoup de journalistes et de curieux se pressent sur l'aérodrome « Donc, vers 7 heures, à Port-Aviation, Pégoud en monoplan, prit son vol. Rapidement il gagna en hauteur jusqu'à 1 100 mètres. On le vit alors décrire une large courbe, et soudain, le moteur au ralenti et l'hélice tournant lentement, diriger ses ailes vers le sol comme pour une descente rapide. L'inclinaison s'accentua encore. L'appareil presque vertical, semblait une flèche qui allait tomber. Il fut bientôt perpendiculaire au sol. Le monoplan, rapide, descendait jusqu'à 700 mètres. Et bientôt, avec une émotion intense, on vit poindre le dessus des ailes, puis l'appareil élargir sa surface et voler tout entier, horizontalement, avec son train d'atterrissage en l'air, caché par les surfaces portantes. Pégoud se trouvait la tête en bas, retenu à son siège par de fortes sangles. L'aéroplane, complètement chaviré, s'avançait. Ce vol effarant se prolongea. Puis peu à peu l'appareil se retourna de lui-même, et, enfin, à 300 mètres de hauteur, reprit sa position normale. Il avait décrit dans l'air, de 700 à 300 mètres un S gigantesque. L'expérience était terminée. Pégoud, doucement, vint atterrir sur l'aérodrome en un superbe vol plan. »
Buc le 2 septembre 1913
Ses exploits retentissent jusque dans les colonnes du journal La Croix d'Auvergne. Le Matin lui consacre alors une colonne biographique qui rappelle sa jeunesse (« consacrée aux sports athlétiques »), son passé militaire, et lui prête une longue confession dans laquelle les vols acrobatiques ne sont que la concrétisation d’un très ancien désir. « Mon stage au camp de Satory, où j'eus l'honneur d'entendre de la bouche du capitaine Carlin L'A.B.C. de l'aviation, décida de l'avenir. Encore plus nettement, j'eus l'impérieux désir de faire de belles choses, de grandes choses, d'accomplir des prouesses utiles à l'aviation, de marquer mon passage dans le corps aérien par des expériences qui signalent un progrès. Rêve de jeunesse, peut-être... […] J'avais la sensation très nette que les cinq ans de cavalier « de terre » me rendaient facile la tâche de cavalier « de l'air ». A ce moment, mon rêve commença à devenir réalité. » Et ce n'est que le premier exploit d'un programme que Louis Blériot et Pégoud auraient fixé d'un commun accord : 1° Retournement d'un appareil dans le plan de l'axe du fuselage et redressement; 2° Retournement d'un appareil dans un plan perpendiculaire à l'axe du fuselage et redressement; 3° Vol plané sur le dos des ailes; 4° Glissade sur l'ile et redressement; 5° Glissade sur la queue et redressement; 6° Abandon des commandes pendant un temps donné; 7° Essai de parachute avec animaux 8° Essai de parachute avec passager. Pas un journal, parisien (les quotidiens mais aussi L'homme libre, L'Industrie vélocipédique, Les Annales, Le Génie civil, La Vie parisienne …), provincial (La Vie sportive du nord et du Pas-de-Calais, La Croix d'Auvergne…), étranger (l'Impartial de La Chaux de Fonds ) voir colonial (Le Tamatave, L'Echo d'Alger…), qui ne relate le prodigieux vol. Certains comme le journaliste de L’Auto y voient le pilote à qui confier les essais de sécurité en aéroplane lancés par les autorités, d’autres, comme L’Aurore saluent le Blériot, monoplace « inchavirable », d’autres encore comme Le Matin soulignent la supériorité de l’homme sur l’oiseau qui ne sait pas voler sur le dos.
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"Essai de l’acrobe de looping à la renverse, la tête en bas, aux points fixes, sur tréteaux. Epatant ! Merveilleux ! La tête en haut cela devenait rasoir. All right !"
Un Grand S dans le ciel
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Demandez le programme ! « Mais où le bât nous blesse, c'est quand ces expériences, d'un caractère si grave, deviennent le prétexte d'une sorte d'exhibition foraine, dont le clou est la vie d'un homme ». Exhibition… certes, mais Adolphe ne risque pas sa vie chaque soir sur les planches des Folies Bergère où M. Bannel l’a programmé dans un spectacle qui commence avec la projection des bandes cinématographiques du parachute, se poursuit avec l’orchestre et se termine en apothéose avec l’entrée du pilote en combinaison de travail casque sur la tête. L’aviation, ses exploits, ses sentiments, le récit des difficultés qu’il a du surmonter.
Cela s’appelle « le journal vécu », et outre les images cinématographiques, on y voit Pégoud maquette du Blériot XI en main faire le récit de ses exploits avec une gouaille qui enchante. « Pégoud s'incline. -Mesdames, messieurs... Ne vous attendez pas à ce que je vous charme ici par mon élégance... non, mon éloquence. Sur la scène du premier music-hall de France, je ne suis pas tout à fait dans mon élément (applaudissements), je ferai de mon mieux (bravos). Voici un petit Blériot. Ordinairement c'est lui qui me porte. Ce soir c'est moi (Rires aux avant-scènes où je distingue, à gauche, en bas, le duc d'Uzès; en haut, une nichée d'aviateurs: Beaumont, Bielovucci, Védrines, Paulhan, Barrat, Chreck, Capazza: à droite écrasée sous un plumet de tambour-major, Mlle Forzane, celle qui s'avouait « la plus belle fille de Dosville », avec M. Marcel F.; la petite Clara Tambour, avec un chapeau de jais, paré de plumes paradis). -Voici. J'étais avide de recherches mais pas à vide de volonté (Bravos). Un jour, je suis presque retourné par un coup de vent là-haut. J'encaisse et je me dis: "Tiens, c'est épatant, v'la une tape sur l'aile et je navigue toujours. Mon mécano qui est italien me fait: "Qué virage! Qué virage!". -Eh bien, on va le recommencer exprès. Faudra que j'en parle à M. Blériot. Mais arrive l'histoire du parachute. J'avais confiance. J'avais même emporté un cigare pour le fumer en descendant. Seulement voilà que je regarde mon Blériot -moteur Gnome-bougies Oléo- Ah! il en faisait des embardées!.. Non, le moteur n'était pas berlingot. Je le vois le retourner sur lui-même, un visage tout ce qu'il y a de bien. S'il n'y avait pas eu le sol, il aurait continué. Alors je me dis: "Il fait ça sans pilote. Il le fera bien mieux quand je serai dedans!. Faudra que j'en parle à M. Blériot!.. Je lui en ai parlé. Il a bien voulu puisque j'étais décidé. Alors je me fais attacher, je monte droit comme une chandelle. A mille mètres, je coupe et je pique: du 300 à l'heure, à peu près, quelque chose de bon pour la respiration. Je me renverse petit à petit, et la tête en bas, je fais tout juste du 110/120. Et vaporisée à l'essence! C'était frais. Je me disais "Chouette Sorbet!". Enfin je ramène mon stabilo, je me redresse, je descends en douceur. Et voilà qu'on me prend, qu'on m'enlève, qu'on crie. Ça, ils m'ont plus secoué que je n'étais en l'air. J'ai réussi. J'essaierai maintenant le renversement sur l'aile, puis le glissement sur l'aile, puis le glissement sur la queue. Je dois dire (Pégoud s'avança près de la rampe) je tiens à dire que je ne fais rien de tout cela pour la grosse somme. Pas même pour la petite. Si je me démolis c'est pour être utile à mes collègues (Bravos prolongés) et démontrer qu'avec un bon appareil et du sang-froid on peut toujours s'en tirer. (Ovation)... Et aussi... j'ai rappelé à l'Univers que la France est le pas des hommes courageux, des hommes qui vont de l'avant, des hommes... des hommes! Quoi... qui ont du coeur au ventre!!! Bravos des galeries à l’orchestre, du balcon aux baignoires. La musique joue la Marche de Sambre et Meuse, et les femmes jettent des fleurs sur la scène. Et Pégoud, heureux, dit à M. Bannel: - C'est épatant, le public. J'ai senti que je le tenais. Je le faisais rire, applaudir. Je le retournais comme je le voulais... Comme mon Blériot, quoi! » [Michel Georges-Michel] . Un bémol dans ce concert : « On fait tous les soirs à l'aviateur une belle ovation et c'est justice. Une seule chose choque un peu: la réclame faite à l'appareil qui précède Pégoud puisqu'on sait fort bien que tout le mérite de la réussite revient à l'homme, non au constructeur, et que sur un Nieuport un de ses émules a obtenu en Russie le même résultat ».
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Pégoud au Lachez Tout.
Blériot brasse l'hélice de Pégoud avant le départ
La foule se précipite au devant de Pégoud après son aterrissage
Le roi de l'air sur son appareil.
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Un émule en Russie, qu’est-ce à dire ?
11 septembre 1913 Un entrefilet du journal Le Matin du 11 septembre 1913 l’annonce : « La boucle bouclée en aéroplane.
"Le VVetchernec Wremya rend compte du magnifique exploit accompli par le lieutenant aviateur Nesterov à Kiev. Nesterov, jaloux des lauriers de Pégoud, voulut faire mieux encore et exécuta le « looping the loop » complet sur un monoplan Nieuport ordinaire. Procès-verbal de cette sensationnelle performance a été signé par tous les militaires présents. » Mais qui s’en soucie face à l’engouement des admirateurs de Pégoud ? Et quand il faudra bien se rendre à l’évidence, on pourra toujours souligner qu’Adolphe Pégoud a été le premier à boucler…en public ! « Au moment où Pégoud se dispose à reprendre la suite des expériences entreprises si courageusement par lui, dans le but de perfectionner l'aviation et de la rendre pour ainsi dire sans danger, un officier russe, suivant son exemple, vient d'effectuer, nos lecteurs l'ont appris, le looping the loop en aéroplane. Cet officier, M. Nesterov, qui, à la suite de nombreuses expériences, s'est rendu compte qu'on pouvait faire tourner un aéroplane à l'aide du gouvernail de profondeur, a pu réaliser facilement l'expérience qu'il tentait. -Je me suis élevé, a dit M. Nesterov à l'un de nos confrères du Matin, sur un monoplan muni d'un moteur de 70 chevaux, à une hauteur de mille mètres, j'ai arrêté ensuite le moteur et fait un vol plané presque vertical. A une hauteur de 600 mètres, j'ai agi sur le gouvernail et remis en marche. Ce fut effroyable seulement au moment de prendre une décision. Le reste ne compte pas. L'appareil monta vers le ciel, le moteur fonctionnait normalement. L'horizon disparut et mon Nieuport se retourna. J'étais assis la tête en bas, me sentant parfaitement. Je me tenais de toutes mes forces à mon siège et aux pédales, mais je n'eus jamais l'impression que je pouvais être projeté hors de mon appareil. Ni l'essence ni l'huile ne furent renversées, et le moteur fonctionna admirablement. |
Croquis de Nesterov
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Le baromètre que j'avais en poche ainsi que mes instruments, dans des caisses, ne bougèrent pas, tout était dans un équilibre parfait.. Au moment où j'eus l'impression de ne plus voir le sol, j'agis plus énergiquement sur le gouvernail. Voyant la terre, j'arrêtai le moteur et ayant équilibré l’appareil, je fis un vol plané vers le hangar, où je fus salué de chaleureuses ovations. J'ajoute que, avant de tenter mon essai, je me suis beaucoup entrainé, faisant prendre à l'appareil toutes sortes de positions dans les airs, exécutant des virages à 85°, forçant l'appareil à se cabrer. Glissant sur une aile ou sur la queue je le remettais en équilibre. L'expérience de l'officier russe est assurément intéressante et prouve en même temps que son courage, sa virtuosité. Malheureusement pour lui elle vient après celle de Pégoud -et il ne nous est pas désagréable de constater une fois de plus que c'est la France qui a donné l'exemple. » Le journaliste ne s’attache pas aux dates… et donne priorité au S accompli par Pégoud le 1er septembre, ce qui est objectivement un exploit fondateur, quand Nesterov faisait un O le 11 septembre, ce qui est aussi objectivement un exploit inédit. Mais Nesterov n’en fera plus d’autre ayant été sanctionné par sa hiérarchie militaire pour n’avoir demandé aucune autorisation et avoir mis en danger sa vie et engagé du matériel militaire.
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Piotr Nesterov |
Alors le 21 septembre, à Buc, Pégoud exécute toute une série de figures de voltige aérienne inédites en public sur lesquelles on se concentre. Qui mieux que lui peut les décrire ? « J'ai commencé par des glissades sur l'aile gauche et sur l'aile droite ; puis une longue glissade sur la queue avec redressement; retournement de l'appareil dans le plan de l'axe du fuselage et redressement sur l'aile; glissade sur la queue, l'appareil étant vertical, moteur arrêté, avec une chute de 200 mètres, vol plané sur le dos avec redressement alternatif sur l'aile droite et sur l'aile gauche; descente en tire-bouchon, appareil vertical, sur une aile, et pour terminer - hors de mon programme - j'ai bouclé la boucle . […] J'ai « bouclé la boucle » avec joie. J'ai satisfait un peu, je l'avoue, mon amour-propre. Je voulais la « boucle complète ». Ce fut parfait l'appareil obéit dans la perfection, ne se montrant récalcitrant qu'au redressement final, car je dus gauchir avec force pour éviter de tourner sur une aile. Je voulais la boucle complète et normale. […] -La boucle? dit-il, mais je la bouclerai encore lorsque vous voudrez. L'appareil a bien, très bien rendu. J'ai remis les gaz pour franchir le cap difficile du dessus, j'ai dû gauchir pour n'être pas embarqué sur l'aile en me redressant, et j'ai repris normalement mon assiette sans avoir été autrement incommodé. Je doute qu'on puisse la boucler sans être attaché. Je l'ai bouclé à 800 mètres de hauteur dans un diamètre qui ne doit pas excéder 100 mètres."
Et Védrines, qui est au tout premier rang des spectateurs, témoigne son admiration. -On n'a rien fait de pareil dit-il. C'est épatant. Et Pégoud est un rude pilote ! » Le 22 il peut rajouter le looping the loop à sa démonstration en scène. Et recevoir une plus grande ovation. Du spectacle donc, mais pas seulement. La sécurité en vol est une préoccupation partagée par Pégoud. « J'ai évolué dans toutes les positions simulé toutes les chutes, cherché à réaliser le plus fidèlement possible les accidents auxquels nous sommes exposés dans notre périlleux métier, et toujours le résultat a répondu aux prévisions: l'appareil a repris sa position normale quand je le lui ai demandé. Il n'y a qu'une seule épreuve que je n'ai pu réaliser, celle du retournement de l'appareil dans un plan perpendiculaire à l'axe du fuselage. Malgré mes tentatives, l'appareil s'est refusé à se « retourner sur l'aile », il a prouvé sa parfaite stabilité et son « inchavirabilité ». Mais comme je tenais à aller jusqu'au bout, dans le plan de l'axe, je me suis trouvé exactement la tête en bas, comme si, pris par un fort vent de cité, l'appareil avait été chaviré; je me suis alors redressé sur l'aile, démontrant ainsi la possibilité du retournement quand l'appareil a été chaviré ». Il insiste : j’ai montré la voie, et il ne faut jamais désespérer, il faut avoir confiance en soi, même dans les cas les plus critiques. « Mes amis, vous m'avez vu voler la tête en bas, vous savez que c'est possible. Par conséquent, si un jour votre appareil se retourne, laissez-le faire, posément, tranquillement, prenez votre temps et redressez-le en manoeuvrant les commandes comme pour un vol normal ». Ces recommandations seront les dernières car Célestin Adolphe va désormais se consacrer aux exhibitions.
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Derniers conseils avant le départ
La foule sur le terrain de l'Aéroparc
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Début de la tournée européenne : Brooklands. Le 24 septembre en compagnie de Blériot, il part en Angleterre pour des vols de démonstration à Brooklands. Une réception enthousiaste leur est réservée : Blériot n’est-il pas le vainqueur de la Manche ? Le major Lloyd, directeur de l’hippodrome de Brooklands offre un banquet où de nombreux toasts furent portés au son de la Marseillaise. Le 25 septembre, le train spécial affrété depuis la gare de Waterloo est parti complet et des milliers d'autos ont convergés de tous les points de l'Angleterre vers Brooklands., où 25 000 personnes se trouvaient réunie vers 15 heures. Le programme fut le suivant : Monté à 1 000 mètres. Vol la tête en bas de 800 mètres en spirales. Redressement de l'appareil. Glissade sur les ailes de 500 mètres. Série de glissades sur les ailes de 500 mètres. Série de glissades sur la queue de 500 mètres. Un vol de 20 minutes avec virages, les mains en l'air. Vol à 300 mètres terminé par un "looping the loop". Nouvelle montée à 1000 mètres et un vol la tête en bas en faisant le tour de l'aéroport. Redressement de l'appareil et descente en spirale sur l'aile complètement verticale, terminée par un "looping" à 400 mètres. Le tout complété par la dédicace de nombreuses cartes postales et par une conférence dont Pégoud a le secret, en traduction simultanée et avec sa maquette qui était du voyage. Outre les exhibitions, le séjour en Angleterre où les Etablissements Blériot possèdent une filiale est l’occasion de faire des affaires. La filiale londonienne transfert 33 000 francs à la maison mère le 4 octobre comme participation aux bénéfices de l’opération. Trois jours d’exhibitions en Angleterre, et au retour en France Pégoud trouve une situation qu’il juge … paradoxale : les autorités de son pays ne l’autorisent pas à de telles exhibitions publiques… Le 2 octobre, toujours dans des vols « privés » il inaugure un nouveau dispositif permettant d’enchainer les vols sur le dos et les boucle sans devoir fermer l’arrivée d’essence et sans entrainer un surrégime du moteur en descente.: « Dans un nouvel appareil, où il avait installé un dispositif pour assurer l'arrivée constante de l'essence au carburateur, pour que le moteur ne s'arrête qu'à sa volonté, Pégoud a évolué, pendant cinquante-neuf secondes, sur le dos des ailes de son Blériot il s'est maintenu horizontalement et il a viré à droite, puis à gauche, aussi aisément que venait de le faire, en position normale, Perreyon. Sans avoir interrompu son vol, après s'être rétabli, il exécuta une arabesque à quatre boucles. Et comme dans ce quadruple « looping the loop son appareil avait perdu un peu de sa vitesse, c'est sur le côté qu'il boucla, une cinquième fois, la boucle qui terminait son dessin aérien. » A la suite de quoi, peut-être pour manifester une certaine impatience, il décide de prendre du recul et ne parait pas au terrain d’aviation. Il déclenche ainsi l’affolement : Pégoud affirme les uns a été tué dans un accident d'automobile; d'autres plus tragiques affirment que le célèbre aviateur, qui depuis vendredi midi n’a pas reparu chez lui, a été assassiné. Il avait simplement besoin de repos. Les 5 et 6 octobre il continue : un enchainement de 6 boucles successives sont à son programme sans arrêter le moteur. Le 9 octobre, après avoir essayé son nouvel avion, un biplace, il part pour Marseille où faute de le voir voler, on l’attend pour une conférence.
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A Brokland devant son avion
Pégoud n'hésite pas à mettre les mains dans la mécanique
Dispositif d'arrivée d'essence adapté pour le looping.
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Pégoud volera dimanche pour les lecteurs du" Matin" Ayant obtenu les autorisations officielles nécessaires, le journal Le Matin organise une grande fête aérienne gratuite à Buc sur l’aérodrome Blériot le dimanche 12 octobre. L’organisation est à la hauteur de l’attente de l’événement. Pour prévenir de la tenue ou non de la fête, en fonction de la météo, dix mats de signalisation sont placés aux principales portes de Paris et aux gares de desserte de l’aérodrome. Dédoublement de tous les trains du dimanche sur les trois lignes de Montparnasse, Saint-Lazare et Invalides. Services spéciaux d’autobus depuis 6 terminus. Toutes les routes accédant à l'aérodrome seront à sens unique de circulation. Un imposant service d’ordre assure la bonne circulation, un service d’ambulances est assuré par les dames de la Croix-Rouge. « A l'issue de la fêle de Buc, Pégoud viendra au Matin, où, à 6 heures du soir, une réception sera organisée en son honneur. Ceux qui n'auront pu le voir à Buc pourront ainsi acclamer le vaillant aviateur à Paris ». Deux cent mille personnes sont là le dimanche après-midi. Perreyon ouvre le bal avec des vols impressionnants fait de virages et de passages bas ; Domenjoz lui succède pendant trois quart d’heure dans des montées verticales et des descentes vertigineuses. Blériot lui-même emmène un passager en vol au-dessus de l’aérodrome en exécutant quelques fantaisies. Puis résonnent trois coups de canon. Un clairon joue " Au Drapeau ". Solidement attaché Pégoud fit ce qu’on attendait de lui et plus encore, en en « mettant plein les mirettes » des spectateurs : dix boucles à la suite… Il atterrit. Une voiture va le chercher, mais la foule bouscule les barrières et Pégoud est porté en triomphe puis est réclamé au balcon de l’hôtel où il est longuement acclamé. En compagnie de Bonnet il réussit à filer à l’anglaise, mais des milliers d’admirateurs l’attendent encore dans les bureaux du Matin. Le lendemain le New-York Herald saluera cette journée mémorable. Une conférence à Lyon le surlendemain 14 qui permet à la presse de rappeler ses origines dauphinoises et son apprentissage à Bron, et à Pégoud de faire l’éloge de son professeur Louis Plantier…et le voilà parti.
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Pégoud vole à Buc pour les lecteurs du "Matin"
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Vienne acclame Pégoud, Berlin le réclame Bien que le vent soit contraire, Pégoud se présente devant plus de 200 000 spectateurs massés sur l’aérodrome d’Aspern, selon la presse. Ce 18 octobre il monte d’abord à 1 000 mètres pour exécuter un vol sur le dos agrémenter de virages qui soulèvent un enthousiasme admiratif, puis montant à 1 200 mètres il enchaine trois, puis cinq loopings successifs. Le 19 après-midi, sa prestation a attiré la famille impériale. Les archiducs Léopold, Salvator et Albert, accompagnés de leur famille et de plusieurs archiduchesses, ont assisté aux expériences et ont manifesté un intérêt particulier en se faisant expliquer les manœuvres et en s’enquérant des qualités techniques du Blériot utilisé par Pégoud. Pendant ce séjour il négocie sa présence à Berlin pour les jours suivants. La Société d'aviation de Johannisthal a traité avec Pégoud pour une exhibition que l'aviateur français viendra donner samedi prochain et pour laquelle il touchera 30 000 francs. Il se peut que Pégoud donne une seconde séance dimanche. Dans ce cas, il lui sera alloué pour les deux jours un cachet de 50 000 francs. Arrivé le 23 octobre, il fait honneur à la réception organisée pour lui par le commandant von Tschudi, directeur de la société d'aviation de Johannisthal, et de nombreux officiers aviateurs du camp de Dœberitz, réception au cours de laquelle il déclare que ses vols montreront « qu'en ne perdant pas la tête l'aéroplane est un véhicule certainement plus sûr que l'automobile ». De plus il laisse entendre qu’il présentera un nouvel exercice : une descente verticale sur la queue. Le commandant Tschudi insiste sur l’utilité en aviation des expériences de Pégoud et rappelle que c’est pour cela qu’il a été invité. Les journaux présents ne manqueront pas dans leur parution le lendemain de souligner l’évènement. La Gazette nationale le qualifie de « dompteur de l'air", le Journal de Francfort parle de « cet homme-oiseau singulier, mais très moderne, mélange de romantisme et d'industrialisme ». L’avion de Pégoud est arrivé et est placé sous bonne garde tandis qu’il s’installe à l'Admiral-Palatz. Samedi. L'audacieux pilote fut présenté au grand-duc de Mecklembourg-Schwerin; qui le félicita chaleureusement. « Attachez-les à votre monoplan, lui dit la grande duchesse de Mecklembourg en lui remettant un bouquet d'oeillets roses, ils vous porteront bonheur ». Sur son appareil fleuri, Pégoud s’élève à 1 000 mètres devant quatre cent mille spectateurs et enchaine les figures acrobatiques terminées par une descente en vol plané sur le dos jusqu'à environ 150 mètres du sol, altitude à laquelle il exécute plusieurs loopings. Dimanche. Le chargé d'affaires de France à Berlin, le comte de Manneville, et MM. Hermite et de Ravignan, secrétaires étaient présents parmi une foule immense — toute la plaine de Johannisthal, Rudow et Glienicke était noire de monde. Les journaux signalèrent d’ailleurs de nombreuses dégradations dues à cette foule. « Devant l'encerclement de la foule envahissant les forêts, tout le gibier, lièvres, lapins, faisans et chevreuils a été pris à la main et assommé à coups de canne et de parapluie ». Seul point noir dans une journée dans laquelle « L'audace de Pégoud dépassa toute attente » selon le professeur Berson [NOTE. Le professeur Berson est membre de l'Institut météorologique de Berlin et détenteur du record d'altitude en ballon monté avec 10 800 mètres]. De fait, l'aviateur exécuta des boucles à une hauteur inférieure à soixante mètres! Avant de quitter Berlin et après avoir fait une séance supplémentaire le mercredi, vols auxquels le prince Frédéric-Léopold de Prusse, le prince et la princesse de Reuss, un grand nombre d'officiers, Pégoud a prononcé sa désormais incontournable conférence pour laquelle il a été vivement applaudi.. Cette réunion était organisée par la société scientifique Urania [NOTE. Urania est une société scientifique fondée en Berlin en 1888,]. En lui remettant une couronne de lauriers, le général Von der Goltz, qui est président de la Société des aviateurs allemands, a vivement félicité Pégoud. Suite à ces présentations berlinoises, Pégoud est engagé pour deux exhibitions à Hanovre, où il volera les samedi et dimanche suivants, quel que soit le temps pour un cachet de 60 000 marks [NOTE. Soit environ 150 000 euros 2020]. Dresde, Hanovre, Gand, Bruxelles, Munich. 1er novembre 1913. Pégoud vole à Dresde la tête en bas M. Pégoud a refait à l'aérodrome de Dresde-Taditz les exercices déjà exécutés à Johannisthal. L'aviateur français a pris deux fois le départ. Toutes ses évolutions ont pleinement réussi L'après-midi un banquet lui a été offert par la Société aéronautique saxonne. Ce soir Pégoud a fait une conférence très applaudie sur ses exercices. Demain il évoluera à Hanovre. « PROPOS D'UN PARISIEN dans le Matin Le brave Pégoud vole aujourd'hui et demain à Hanovre pour 60.000 marks; à Berlin, il a touché des sommes formidables. Bref, ce roi de la cabriole est en train de faire son million. Voilà ce que c'est que de savoir se retourner dans la vie !... II est d'ailleurs parfaitement juste que l'intrépide aviateur gagne un gros magot en risquant ainsi sa vie pour procurer de fortes sensations au public »". Tandis que Pégoud « fait son million » Blériot affronte les savants de la Société Française de Navigation aérienne, dans une séance présidée par M. Berthelot le jeudi 30 octobre. Dans la discussion qui s'est engagé ensuite, MM. Boyer-Guillon, Esnault-Pelleterie, Doutre, Moreau, Arnoux, le sénateur Reymond, les lieutenants-colonels Renard et Sereau ont exprimé tour à tour leurs opinions sur l'interprétation que l'on doit donner de ces expériences et sur leur signification au point de vue des progrès de l'aviation. Il résulte de ces consultations que, s'il y a des divergences d'appréciation marquées au sujet de la valeur scientifique des expériences de Pégoud, l'admiration était unanime pour le courage et l'adresse du pilote. A Hanovre Pégoud continue ses exercices dont le public ne se lasse pas. 100 000 Hanovriens sont là pour le voir boucler la boucle, virer sur l’aile, se retourner, glisser sur l’aile ou sur la queue. Le public, mais aussi ses collègues aviateurs qui de plus en plus nombreux se lancent dans son imitation. Parmi les premiers, c’est Chevilliard, auteur d’un looping en biplan Farman, qui lui lance un défi que Pégoud refuse assez sèchement tout en se félicitant d’avoir fait un émule. « Je souhaite ardemment, at-il-dit, sa réussite : mon but a toujours été de travailler pour la sécurité des aviateurs, et non de faire du spectacle. Je défends la bonne cause et j'effectue des démonstrations avant tout scientifiques, mais je reste tout à mon travail, ne jugeant pas nécessaire, pour le moment, de sortir de mon programme. Quand mes collègues auront fait leurs preuves, je continuerai à faire montre des miennes : l'aviation ne pourra qu'y gagner ».
Chevillard en looping sur biplan Farman C’est que Chevilliard et Pégoud ne font pas le même looping. Un spectateur décrit celui de Chevilliard : « A une hauteur bien inférieure à 1 000 mètres, le pilote se dresse sur la verticale, la dépasse, vole quelques instants sur le dos et, par une glissade sur l'aile, revient à la position normale ». Pégoud effectue sa rotation par apiquage longitudinal et boucle la boucle dans le sens de la marche. Chevillard, au contraire, engage son appareil sur l'aile et exécute un looping the loop transversal. A Gand, en marge de l’Exposition Universelle qui se termine il exécute huit fois la boucle, ce qui lui vaut les félicitations de M. Helleputte, ministre des Travaux publics et de M. Klobukowski ambassadeur de France en Belgique. C’est Blériot lui-même qui lance le moteur de l’avion neuf qu’il a convoyé, l’appareil de Pégoud étant resté à Hanovre. 200 000 spectateurs le matin, au moins autant l’après-midi. Le soir un grand banquet. Le lendemain Pégoud et son manager Bonnet sont attendus Bruxelles. Ils iront ensuite à Amsterdam, Hambourg, Cologne, Munich. Une pluie fine et froide, sur le champ d’aviation de Berkhem-Sainte-Agathe n’a pas empêché 150 000 Bruxellois de se déplacer mais a fort contrarié les vols d’exhibitions. Un seul vol a pu être effectué donnant l’occasion à Pégoud de ne faire que cinq loopings et une descente en spirale. Il fut malgré tout acclamé, fleuri et porté en triomphe à sa descente de l'appareil. « Le soir venu, Pégoud oubliait les dangers courus dans la journée et soupait avec nos plus charmantes artistes parisiennes en représentation au boulevard Anspach. Il y avait là Mme Cora Laparerie, qui venait de jouer Le Minaret avec Mlle Mireille Corbé et M. J. WorM.S., Mlle Lilian Greuze égayait la fête de son gracieux sourire, et M. Robert Trébor était de passage à Bruxelles. Avec le plus grand flegme, Pégoud raconta ses exploits, qui sont pour lui une chose très naturelle... Il alla même jusqu'à proposer d'emmener avec lui quelque charmante artiste... Mais jusqu'ici personne n'a répondu " oui ". On redoute un peu au théâtre de voler la tête en bas. Le souffleur. »
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Johannisthal
Johannisthal le 25 octobre 1913
Gand, le 3 novembre 1913.
En marge de ses exhibitions à Berlin,Pégoud partiipe à quelques événements mondains. Ici avec l'actrice Madge Lessing
Blériot, Stiplosek, Pégoud, Hoge
Affiche de l'exhibition d'Hanovre
"Im Triumph der Menge". La foule fait un triomphe à Pégoud.
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Que valent les expériences de Pégoud? Depuis le début de novembre une petite polémique s’est installée dans les milieux aéronautiques autour de la valeur universelle des expériences de Pégoud. Lors de la séance de la Société de navigation aérienne, plus d’un avait souligné que Pégoud était l’exception qui confirme la règle et que l’on ne pouvait s’appuyer sur cet exemple pour soutenir la thèse de la stabilisation de l’avion par le pilote. Blériot monte alors au créneau : « Je possède une dizaine de pilotes qui sont prêts à faire des vols renversés et à cabrioler dans l'air. Comme les aviateurs vont par deux, après Hanouille et Hueks, Perreyon et Domenjoz, les deux pilotes de Blériot, sont devenus hier après-midi, de nouveaux pégoudistes. Sans aucune hésitation, après que Hanouille eut exécuté une haute école remarquable, Perreyon et Domenjoz ont volé la tête en bas et bouclé la boucle. Dès lors la liste des aviateurs exécutant le looping the loop et faisant le vol retourné comprend : 1. Pégoud, roi 2. Hanouille 3. Hucks 4. Perreyon 5. Domenjoz. ; Et ce n'est pas encore fini... ». D’autres avaient mis en doute la scientificité des évolutions qui relèveraient de l’acrobatie. C’est à Bonnet que revint de relever le flambeau : « - Ce que dit Pégoud devant les tentatives heureuses de ses imitateurs? Mais il en est très content et se réjouit de voir enfin les pilotes mis en confiance par ses démonstrations. Garçon simple et bon, qui a élevé l'aviation à la hauteur d'un sacerdoce, il n'a qu'un but - qu'il poursuit inlassablement - celui de démontrer la sécurité en aviation. Le dévouement l'emporte sur l'intérêt. Il a montré la voie; le premier il s'est lancé à corps perdu et avec une foi aveugle dans une tentative aussi hardie que téméraire et qui aurait pu lui être fatale. Aujourd'hui il récolte ce qu'il a semé, et voit avec bonheur ses adeptes se multiplier. " La première partie de sa tâche est remplie; ne croyez pas qu'il s'en tiendra là. Depuis que nous avons quitté la France, il a travaillé à fond cette ingrate question de la sécurité : il a établi avec minutie et précision la liste des nouveaux essais à exécuter et qu'il a déjà réalisés au fur et à mesure de ses expériences. Il va maintenant les réunir, en faire un tout bien compact et lorsque ses imitateurs auront accompli la série de vols qu’il a, lui, réalisé depuis de longs mois, il leur montrera ce qu'ils peuvent encore faire s'ils ont toujours confiance en eux. Toutes ces nouvelles expériences relèvent de la science pure de l'aviation, il n'y a ni adresse, ni acrobatie dans leur exécution. Pégoud est et doit rester un initiateur, celui qui le premier a osé, le premier a réalisé et dont le nom mérite de passer à la postérité. Ses nouvelles expériences prouveront qu'il est bien un précurseur ". Il revenait à Pégoud lui-même d’intervenir, mais loin de France il le fit par communiqué à l’Agence Havas le 20 novembre depuis Francfort ou son succès ne faiblit pas.. « - Je suis on ne peut plus heureux d'apprendre ici le succès remporté par mes imitateurs. Je n'ai jamais eu qu'un but : démontrer la sécurité du pilote lorsqu’il garde son sang-froid et sa présence d'esprit. On me sacre roi du looping, mais plus modeste, je me contenterai d'avoir osé le premier courir risques et dangers dans l'intérêt même de l'aviation française. Bravo à tous ceux qui me suivront dans cette voie. - Pégoud.
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Pégoud, Hanouille, Domenjoz, Hucks, Chanteloup, Garros, Chevillard |
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"Toujours prêt pour les expériences utiles qui demandent de l'audace et du sang-froid"
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Sur l’invitation du Prince Henri de Prusse A Francfort il a en effet répondu à l’invitation pressante du frère de Guillaume II L’officieuse « Gazette de l'Allemagne du Nord » l’avait annoncé et au lendemain de Cologne, Pégoud devait exhibitionner les 14 et 16 novembre devant le public francfortois. Le 14 à 15h 15 le mauvais temps qui empêche le décollage permet au prince de s’entretenir avec Pégoud sous sa tente. Il se fait expliquer les manœuvres du looping the loop et s’intéresse aux débuts de Pégoud dans l’aviation. Une éclaircie permet l’envol et les 35 000 spectateurs assistent aux démonstrations de Célestin Adolphe autour du looping. A l’atterrissage le grand-duc de Hesse, le prince et la princesse Charles de Hesse se joignent au prince pour aller à la rencontre de Pégoud qui entame un tour d’honneur en automobile. « Vous êtes un brave, dit le frère de l'empereur à Pégoud et je fais les voeux les plus sincères pour qu'il ne vous arrive jamais rien. Continuez avec succès vos expériences si riches en enseignements. » Le compliment accompagnait la couronne de lauriers du comité d'aviation de Francfort. Après Francfort c’est à Munich le 23 novembre, que Pégoud devant plusieurs membres de la famille royale bavaroise dont le prince héritier et devant plus de 60 000 personnes que Pégoud a refait la présentation de ses prouesses désormais célèbres. Il aurait du continuer à Berlin, mais les autorités prussiennes ont refusé aux organisateurs l'autorisation de tenir le meeting à l'aérodrome de Grunewald et à celui de Ruhleben. C’est donc à Bucarest qu’est fixé le prochain rendez-vous. C’est devant le roi, le prince héritier et les personnalités civiles et militaires que Pégoud exécute ses figures aériennes à Bucarest. Il en sera récompensé le 1er décembre par le prince Bibesco, directeur de l'aviation militaire en Roumanie qui, au nom du roi Carol, lui décerne l’ordre de chevalier de la Couronne de Roumanie.
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Pégoud félicité par le prince héritier Rupprecht
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L’exécution du « looping en vrille ". Après cette tournée en Europe, Célestin Adolphe revient en France où l’attendent plusieurs échéances. C’est d’abord M. Marchis, le professeur titulaire de la chaire d'aviation de la fondation Zaharoff, à la Sorbonne qui veut examiner scientifiquement son travail et faire assister ses auditeurs aux démonstrations pratiques de Pégoud qu'il a fait précéder et suivre de causeries et de communications relatifs à l'utilité de ces expériences et à leur grande valeur au point de vue de la sécurité en aéroplane. Les membres de l'Aéro-Club de France et les lecteurs de la revue La Technique moderne avaient également été conviés. Outre ses évolutions habituelles, il présenta le 5 décembre ce qu'il appelle le « looping en vrille ". Il commence une boucle en avant, c'est-à-dire en cabrant l'appareil, puis quand il se trouve tête en bas, pivote sur une aile et achève la boucle dans l'autre sens en avant. « C'est en somme le tracé dans l'espace de quatre courbes du pas d'une vis ». Après les scientifiques, ce sont les politiques du groupe sénatoriale de l’aviation qui expriment le souhait d’évaluer les exercices de voltige aérienne. Dans le but de contrôler par eux-mêmes les progrès accomplis dans la locomotion aérienne, les sénateurs faisant partie de ce groupe MM. d'Estournelles de Constant, Gustave Rivet, Cachet, Paul Le Roux, Mollard, Chautemps, Reymond, Codet, Mir, Magnien, Maxime Lecomte, etc., ainsi que M. Favareille, chef de cabinet du président du Sénat, se sont rendus à l'aérodrome, qui en automobile, qui en autobus. Le 13 décembre Pégoud ajoute une corde à son arc en emmenant des passagers d’abord M. Girod, député, puis Mlle Anna Guymon, une « gracieuse et vaillante passagère . Leurs succédèrent différents journalistes qui purent ainsi publier leurs impressions de boucleur, tandis que l’un d’eux inventa le terme de « pégouder » pour signifier les arabesques aériennes. Décembre est donc bien occupée, d’autant que Blériot s’appuye sur Pégoud pour la réussite de sa présence à la Vème Exposition de la locomotion aérienne au Grand Palais des Champs-Elysées (4-25 décembre 1913). Il y présente pas moins de trois stands.
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Pégoud dans ses évolutions
Pégoud emmène le député Girod dans son biplace adapté pour le looping.
Pégoud ambassadeur de Blériot. 5e Exposition internationale de locomotion aérienne.
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25 décembre 1913, Journal Le Matin Il paraît que Pégoud a fait, cette nuit, boucler la boucle au Père Noël pour le plus grand bonheur des petits français.

Journal "Le Matin", 25 décembre 1913
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Mais qui est Pégoud ? « Je lui fus présenté dans un petit café de la place du Châtelet, où il avait coutume de venir chaque soir après sa journée de travail à Buc. Si je n'eusse été averti par l'ami de Pégoud qui m'avait amené là, je n'eusse certainement pas reconnu l'aviateur à son entrée dans le café, tant il était, au réel, différent de ses portraits. Je vis un petit homme, à la moustache blonde, un peu pataud, un peu gauche, et qui ressemblait étonnamment à un de ces jeunes paysans au bon visage rose qu'on rencontre le dimanche par les routes de campagne, le veston sur le bras et un brin d'herbe aux lèvres. Tout de suite il fut entouré par ses camarades qui l'attendaient: "Ah! voilà Dodolphe!...Ca va Dodolphe, qu'est-ce que tu bois?... Dodolphe, y a un paquet pour toi à la caisse... Eh! Dodolphe, nous prenons le train demain main pour Marseille, tu n'as pas oublié?..." Pégoud écoutait tout avec l'apparence d'un somnambule. J'eus l'impression que ce garçon, hors de son appareil, était dépaysé partout, et que les mots qu'on lui disait n'arrivait à son entendement qu'à travers l'espèce d'ouate du souvenir et de la pensées fixes des cabrioles fantastiques accomplies tout à l'heure ou qu'il accomplirait demain. or, nous causâmes ensemble assez longtemps. Et au bout d'une heure peut-être de conversation, je n'avais pas encore le sentiment d'avoir devant moi le vrai Pégoud. Je veux dire que le brave garçon que je voyais là, manifestement tout rond, tout simple, parlait -pareil aux acteurs antiques- derrière un masque. Le Pégoud qui me racontait ses impressions, ses rêves, était sans conteste un homme fabriqué, un homme dont pas un mot ne semblait venir du fond de l'être, mais paraissait plutôt extraite d'une tirade apprise. Un homme enfin qui s'efforçait, inconsciemment, à correspondre au type d'un Pégoud interviewé. photographié, sténographié, depuis son premier exploit, par cent ou deux cents journalistes. A tel point qu'en me contant des détails de sa vie, il passait le plus innocemment du monde, et sans s'en apercevoir aucunement, de la première personne à la troisième, comme on récite: -J'ai servi au 18° chasseurs d'Afrique... Après ça le Maroc... Fait la campagne 1907-1908... prend part à tous les combats... Il s'anima un peu, en parlant de ses exercices aériens: -L'aéroplane... c'est ma vie...Je n'existe pas hors de mon appareil... ici, dans la rue... enfin par tarre... Je ne me sens vraiment moi-même que quand je tombe... à pic... et puis, quand je me redresse... Je commence à voir le vrai Pégoud... Ses mains caressaient l'air, dessinaient des envols, des chutes, passaient sur un aéroplane imaginaire comme sur l'échine d’un chat... Mais tout de suite la déclaration rhabillait l'émotion nue: -Alors... là...dans l'espace... je domine les éléments... je jouis de ma maîtrise sur les éléments. Le «je maîtrise les éléments », non, ce n'était pas de lui. C'était clair. Il l'avait lu dans un article, et il le répétait. Et je ne vis apparaître l'homme véritable, de derrière l'aviateur profusément célèbre, qu'au moment où son mécanicien, assis à une table voisine, impatienté de notre trop long colloque, s'était approché et lui avait dit Dis donc, je m'en vais. On se verra demain. Bon, fit Pégoud. Et tout de suite, il ajouta Tu n'as pas payé ta. consommation, au moins Si. ? Ah! tu me fais mal dit Pégoud. Fallait pas. Ce « tu me fais mal », c'était du pur Belleville. C'était autrement du Pégoud que le « je maîtrise les éléments ». Et la double psychologie de l'aviateur s'illumine enfin pour moi lorsqu'un ami, qui s'était mêlé à notre entretien, me dit: Dodolphe a dû vous expliquer. Il n'est à son aise qu'en l'air. Sur terre, il n'est plus, lui. Pour un peu, il aurait peur des autobus. Alors, Pégoud, qui opinait de la tête, protesta avec vivacité à ces derniers mots: -Ah! non! Il ne faut pas dire que j'ai peur... Peur?... Jamais!... Moi!... Et je perçus nettement que ce "moi" signifiait "Lui" et que cela voulait dire: -Tu ne vas pas laisser penser à ce monsieur qui est journaliste, et qui pourrait l'écrire, que Pégoud a peur... Le courage de Pégoud, son sourire, c'est de l'Histoire... Les journaux l'ont imprimé... Ses photographies l'ont affirmé dans le monde entier... Tu ne vas pas laisser toucher à la belle image... »
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Prague, Bruenn , Trieste, Zagreb ... Le Grand Prix de l'Académie des sports, réservé à « l'auteur d'un fait sportif pouvant entraîner un progrès matériel, -scientifique ou moralisateur pour l'humanité », vient d'être décerné pour la troisième fois à un aviateur montant le monoplan Blériot, à Pégoud, le célèbre créateur des vols renversés et des loopings en aéroplane. Il importait de constater, en effet, que ce Grand Prix, créé depuis trois ans, a été délivré les trois fois à des aviateurs pilotes du Blériot : Beaumont, Garros et Pégoud. L'Académie a consacré encore une fois, outre la valeur du pilote, les éminents services que le merveilleux appareil Blériot a rendus à la cause de l'aviation. Pégoud termine l’année 1913 par deux jours d’exhibition à Prague (27 et 28 décembre) avec un succès tel que les organisateurs lui demanderont d’ouvrir l’année 1914 par une journée de démonstration supplémentaire. Un incontournable banquet auquel ont assisté notamment MM. Henri Dorange, vice-consul de France à Prague; P. Rosarin secrétaire du consulat de France; le représentant de l'Alliance française, a terminé ces deux jours. « On a dit des mots élogieux à cet excellent garçon qu'est Pégoud » et salué l’amitié franco-hongroise. A Bruenn en Moravie la température de -18° n’arrête pas Pégoud qui effectue devant 5 000 spectateurs deux vols, le premier de 32 minutes, le second de 18 minutes pendant lesquels il déroule ses figures préférées. Dans les jours qui suivent, il est attendu à Pilsen et Reichemberg. En attendant il se murmure que Pégoud et Bonnet sont passés à Berlin pour négocier de futures exhibitions… Début février, c’est à Trieste qu’il se produit. L’événement est d’importance puisque jusqu’à ce jour le survol de la ville était interdit. L’interdiction a été rapportée sur une démarche au ministère de la guerre et la Flugtechnischer Verein par Bonnet, manager de Pégoud, démarche appuyée par le colonel Suchomel, secrétaire de la F. V. 150 000 spectateurs étaient présents et enthousiastes. Une semaine plus tard c’est Zagreb qui reçoit Pégoud. En un après-midi il boucle 52 fois la boucle, établissant ainsi son record qui lui valut d’être porté en triomphe. Entre deux déplacements à l’étranger, il trouve le temps de voler à Buc et d’étonner encore par une figure inédite : allonger son vol sur le dos au milieu de la boucle, et de faire la chronique mondaine qui annonce que l’actrice Mlle Sylviav a cédé aux propositions de Pégoud d’emmener une artiste parisienne boucler dans son biplace.
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Zeit de Vienne. —« L'aviateur français Pégoud, abandonné par le comité qui s'était formé à Budapest pour patronner ses vols, est parti de Budapest pour se rendre à Berlin où il a l'intention de voler dimanche. Pégoud a déclaré qu'il retournerait, le jeudi, à Budapest pour voler au bénéfice des pauvres de la capitale hongroise. »
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Une curieuse affaire de sabotage
Début février, Pégoud est en tournée en Italie. Il a réservé une chambre à l’hôtel Excelsior à Trieste où il est arrivé pour deux jours de démonstration. Il vient d’y voler deux jours de suite devant 150 000 personnes qui l'ont acclamé.
Ayant commandé deux nouveaux avions, mono et biplace, il vend pour la somme de 19 000 francs (24 000 selon d’autres sources) son monoplan au pilote Achille Dal Mistro qu’il a initié aux figures du looping. Après s’être entrainé quelques jours, celui-ci projette de faire une tournée en commençant par Bologne et fait préparer l’avion pour son transport. Coup de tonnerre dans le ciel aéronautique : Adolf Freissmuth, un mécanicien congédié par Pégoud prévient l'aviateur italien qu'un très grave sabotage a été commis sur son appareil. Dal Mistro se précipite à l'aérodrome ou l'appareil est déjà emballé pour être expédié. On constate que dans le réservoir sphérique de l'aéroplane, spécial aux appareils servant pour le looping, le tuyau à bascule qui permet à l'essence d'arriver au moteur quelle que soit la position de l'appareil, a été fortement raccourci, de telle sorte que lorsque l'appareil aura été retourné, le moteur s’arrêtera. Ce n'est qu'en arrivant à Vienne le 26 février que Pégoud a appris les accusations lancées contre lui à Milan par son ancien mécanicien. L'aviateur annonce qu’il se rendra à Milan pour effectuer des vols avec l’appareil soi-disant saboté et qu’il a adressé télégraphiquement, au parquet de Milan, une plainte en diffamation contre Freissmuth dont il qualifie les déclarations d’absurdes et ridicules. De son côté, l’aviateur Dal Mistro propriétaire de l'appareil, a déposé une plainte en sabotage contre inconnu. Les faits selon Freissmuth : « -Ce soir à 7 h 30, j'ai rencontré Pégoud sur la place d'Armes. L'ayant suivi, je l'ai vu pénétrer dans le hangar où se trouvait la grande caisse qui contenait l'appareil. Pégoud fut rejoint par son mécanicien Pierrot et tous entrèrent dans la grande caisse qui n'était pas encore fermée. Intrigué, je me suis approché et j'ai vu Pégoud, avec une lime, scier le contrepoids qui se trouve dans le réservoir. Pégoud a mis le morceau dans sa poche ». Selon le manager Bonnet la choses est simple : « Le roi des « boucleurs », en partant n’a fait qu’enlever de l’appareil une modification qui lui était personnelle, et qu’il eut été dangereux de laisser entre les mains d’un pilote inexpérimenté comme Dalmistro. A l’heure actuelle, l’appareil tel qu’il est dans sa caisse est le même que celui vendu par la maison Blériot. Et ceci est si vrai, que dès que nous eûmes connaissance de l’incident, nous avons fait apposer les scellés sur le prétendu monoplan saboté ». Le 16 mars le procureur du roi a signifié à Pégoud qu’il pourrait quitter Milan dès qu’il serait rétabli —après onze jours de maladie, car aucune accusation grave ne peut être retenu contre lui. Reste la question commerciale : Pégoud avait-il le droit de modifier l’appareil après l’avoir vendu ? Les vols avec looping que Pégoud exécutera à Milan le 16 mai avec l’appareil « saboté » clôtureront l’affaire. Imprudence et légèreté. « Voler avec vous et puis mourir ». Et le 28 mars, malgré le froid et la neige, Berlin peut accueillir Pégoud dans un programme renouvelé.
1° ce qu'il appelle la montée en chandelles; mettant son appareil perpendiculairement vers le ciel, il a fait une ascension de quelques centaines de mètres; puis il a complètement arrêté son appareil, de façon à ce qu'il semblait absolument inamovible et comme accroché à la voûte des cieux par un fil invisible;
2° le huit aérien perpendiculaire à la montée et à la descente; 3° l'arrêt complet de l'appareil dans les airs, l'appareil étant renversé et Pégoud la tête en bas, l'appareil n'avançant ni ne reculant.
Pégoud a ensuite emmené plusieurs journalistes et son manager Bonnet. Pégoud avait reçu plus de 500 demandes de femmes pour voler avec lui. Une lui écrivait : « Voler avec vous et puis mourir ». Cela n'attendrit pas l'aviateur français. Bien que les autorités aient interdit aux militaires d’assister aux exhibitions, marquant ainsi une certaine hostilité au pilote français, les principaux journaux se laissent aller à des commentaires dithyrambiques.
*- Du « Taeglische Rundschau », nationaliste et pangermaniste: Bien qu'il fit un temps de chien, les cabrioles de Pégoud furent plus échevelées encore que l'année dernière. Qu'importe que nous nous trouvions en présence d'un Français, l'homme que nous avons devant nous est précisément celui dont notre siècle a besoin. Que nos compositeurs aillent à Johannisthal, qu'ils observent Pégoud seulement pendant cinq minutes, et ils comprendront le cantique de l’humanité que Sophocle balbutia à peine. Vraiment l'enthousiasme pour Pégoud fait tout oublier. O vous qui vous méfiez des éloges à l'adresse des Français, allez à Johannisthal.
*- Du « Post »: Tout à coup Pégoud descend à soixante ou quatre-vingts mètres du sol et exécute ces tours que seul il connaît. C'est à n'en pas croire ses yeux : il tourne et se retourne dans l'air, fait la cabriole à droite, à gauche, en avant, en arrière, s'élève tout droit, s'élance en bas la tête la première et, chose singulière, on n'a jamais l'impression qu'il pourrait lui arriver malheur. Son aéroplane obéit aveuglément; l'air ne lui résiste plus, il faut en convenir. Il est absolument faux de vouloir se débarrasser de Pégoud en l'appelant "acrobate de l'air" et de parler d'un "tapage" fait en Allemagne autour de lui. On lève son chapeau devant tout exploit qu'il soit l'oeuvre de Français ou d'un homme de n'importe quelle nation. Il nous faut bien ouvrir les yeux à l'évidence et reconnaitre qu'avec nos appareils allemands actuels nous ne pouvons pas exécuter des tours à la Pégoud. Il faut que nous nous disions : "la stabilité ne fait pas tout. La sureté du vol ne dépend pas uniquement de la résistance de l'appareil." *- Des « Dernières Nouvelles de Berlin » : « On n'est pas étonné mais ahuri et néanmoins, on a l'impression de la sécurité absolue. Lorsque Pégoud atterrit, on croit se réveiller d'un beau rêve et les gants mouillés par la pluie battent des applaudissements frénétiques. » Cet engouement n’était pas partagé, et de loin, dans tous les Etats. La Gazette de Magdeboûrg ,les Hamburger Nachrichten demandent que l'on s'élève contre cette « glorification » de l'aviateur français et que l'on réserve l'enthousiasme allemand pour l'aviation allemande et les pilotes allemands, et la Flugsportliche Rundschau, et la Taegliche Rundschau répandent une accusation de « détournement » d’une jeune fille mineure. Le 1er avril, Pégoud arrivait à Munich, où on lui notifiait que ses vols étaient interdits. Le ministère bavarois de l’intérieur saisi ouvrit une enquête qui conclut que Pégoud pourrait voler le 3 mai prochain à Puckheim.
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Un point d'histoire aérienne fut fixé.
Après Prague le 10 mai c’est Saint-Pétersbourg qui accueille Pégoud. Fin mai, début juin.
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Pégoud avec le pilote Alois Stiplosek qui a effectué sa formation à l’école Blériot de Pau
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Pégoud en compagnie de pilotes russes |
Pégoud se prépare à emmener le général Kaulbars président de l’ Aéroclub impérial russe
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« Pégoud reste toujours le même, véritable virtuose du monoplan, donnant à ceux qui le regardent l'impression parfaitement nette que son appareil est un parfait instrument, docile et souple sous la main qui le conduit. Le public était venu nombreux, il semble même intéressant de noter l'empressement avec lequel la masse répond à l'appel des organisateurs et les ovations enthousiastes qui ont été faites à Poirée et à Pégoud. Le premier a conquis la foule par la terreur et l'angoisse qu'inspirent la première fois qu'on les voit, ses audacieuses acrobaties; le second, par la grâce et la légèreté de ses évolutions, a fait vibrer une autre corde. L'un et l'autre ont donné au public ce qui lui avait été promis. Pégoud a fait toute une série de boucles et de retournements avec et sans passagers, effectuant avec une correction parfaite jusqu'à 9 boucles consécutives, la dernière à moins de 40 mètres de terre, et remontant au ciel pour y retourner son appareil et descendre en spirale la tête en bas, se maintenant dans cette position pendant plus d'une minute et demie. Ce qui a le plus intéressé le public, c'est que, après avoir ramené dans la position normale son appareil à environ 100 mètres de terre, le virtuose qu'est Pégoud a atterri en vol plané sans avoir remis le contact. L'ovation a été formidable, des milliers de personnes, escaladant les barrières, se sont précipitées vers l'aviateur et il a presque fallu que la garde à cheval effectue des charges pour dégager l'appareil. L’envoyé spécial de la Revue Aérienne ne tarit pas d’éloge. Celui de L’Excelsior n’est pas en reste. . « C'était l'autre semaine sur un champ d'aviation près de Saint-Pétersbourg où Pégoud faisait une exhibition. Une foule amie se pressait pour applaudir aux prouesses de notre fameux pilote: de charmantes artistes vendaient des médailles au profit des aviateurs russes; il y avait là, entre autres françaises Mlles Delmarès, Marise Fairy, Dizy Bonjour, Henriette Leblond qui en ce moment jouent à l'Aquarium le Mariage d'Akomme. Pégoud se surpassa. L'enthousiasme de nos alliés était immense et nos artistes sautaient de joie. Quand l'oiseau de France se fut posé sur le sol, de tous côtés des fleurs lui tombèrent sur les ailes, mais Mlle Delmarès ayant lancé un vibrant « Vive la France » ses camarades et elles s'élancèrent vers Pégoud et chacune lui sautant au cou appliqua deux retentissants baisers sur les joues du célèbre aviateur. Et dans les jolis yeux de nos artistes il y avait des larmes... celles qui trahissent le vrai bonheur. » Et à l’occasion de ces démonstrations, un point litigieux ressurgit : qui est le premier « looper », de Pégoud ou Nesterov ? Le chroniqueur C. de Frettes se souvient : C'était deux mois avant la guerre. […] Quinze jours après, je retrouvais le célèbre français à Moscou et j'assistais à une conférence du capitaine Nesteroff, où un point d'histoire aérienne fut fixé. Pégoud reconnut avec modestie que, si le premier il avait volé la tête en bas, le capitaine Nesteroff était le premier aviateur qui avait réussi le looping the loop. De passage à Varsovie le 10 juin Pégoud fait bien involontairement la démonstration des qualités de pilotage au service de la sécurité. Volant par un vent très violent, son appareil à moins de 60 mètres de hauteur échappe un instant à son contrôle, entrainé dans un retournement aléatoire. Pégoud réussit à sortir indemne de l’accident en dirigeant son avion sur un bouquet d’arbre où l’impact détruisit l’avion. Revenu en France, Pégoud reçoit son baptême de l’air en ballon. Fin juin Pégoud reçoit le baptême de l'air... en sphérique. Etonnamment, son manager Bonnet est un aérostier reconnu, c’est avec un autre aérostier, M. Auguste Nicolleau, pilote de renom, membre de l’Automobile Club de France, qu’il fait cette ascension qui les mènera sans incident à Brécy, à 15 km d'Orléans. De retour à Paris, et en attendant son départ pour les Etats-Unis Pégoud présente aux Parisiens un programme sensationnel de vols nouveaux au profit de la caisse de secours des aviateurs. La réunion aéronautiques est donc donnée le dimanche 5 juillet à l’Aéroparc de Buc sous le patronage de l’Amicale des aviateurs. Quoi qu'il en soit, voici la série d'expériences nouvelles combinée par Pégoud : 1- Montée à 1 000 mètres; 2- La roue. L'appareil étant en chandelle tournera sur l'aile comme une hélice; 3- Renversement sur l'aile, en exécutant une vrille fuyante; 4- La toupie montante. L'appareil étant en chandelle se vise en montée complètement verticale; 5- La toupie descendante. Descente sur la queue en toupie; 6- Loopings tourbillons. L'appareil se renverse dans tous les sens au cours d'une même boucle; 7- Virage en cheminée tête en bas hélice et moteur complètement arrêté; 8- Série de loopings hélice et moteur complètement arrêtés; 9- Le " huit " aérien, dans un plan vertical; 10- Vol de durée, tête en bas, avec descente en vrille; 11- La feuille morte, l'appareil renversé, descend sans avancer ni reculer; 12- Série prolongées d'expériences de renversements en toutes positions, descente en vrille tourbillonnante; 13- Toutes les commandes lâchées, Pégoud se tient debout sur son fuselage tout en exécutant des virages renversants; 14 - Atterrissage, hélice et moteur complètement arrêtés avec série de virages en chandelle, loopings et vols renversés.
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A son bureau à l'hôtel à Saint-Petersbourg, Pégoud signe des autographes. Sa signature s'inspire de ses prouesses acrobatiques.
Pégoud félicité par le général Kaulbars commandant de la garde impériale.
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Ni la croix ni l’Amérique pour Pégoud. Le député du Doubs, M. Girod qui avait bouclé la boucle avec Pégoud et défendait les intérêts de l’aviation militaire naissante à la Chambre, a obtenu du ministre M. Messimy que soit décernée la croix de la Légion d’honneur à Célestin Adolphe en raison des services rendus à l’armée et à l’aviation. Mais au moment de remplir les formalités au ministère de la guerre, on s’aperçut qu’il n’avait pas le brevet militaire, et que celui-ci était exigé pour une décoration remise par le ministre. Pégoud ne fera donc pas partie de la promotion du 14 juillet 1914. On verra dans quelles circonstances cette distinction lui fut décernée. Après la Russie, c’est l’Amérique qui attend Pégoud. "La Société Aéronautique de New-York a fait des démarches pour obtenir que Pégoud vienne voler aux Etats-Unis. Elle est entrée en guerre avec la Compagnie Wright à cause des prétentions de cette dernière. Orville Wright a donné l'autorisation à Pégoud de voler en Amérique du Nord à condition que celui-ci lui verse au moins 20% de la recette. L'aviateur français n'a rien accepté. Le voyage en Amérique reste donc problématique." La Une du New-York Times du 12 octobre 1913 avait présenté un dessin de Pégoud aux commandes de son Blériot pour illustrer une exposition consacrée aux progrès de l’aviation depuis les premiers vols des frères Wright. «Ten years’ Marwels since Wright’s first air». Et à cette date des pourparlers avaient été engagés par Blériot pour un voyage d’exhibitions aux Etats-Unis. Au mois de mars 1914 selon le journaliste du matin l’affaire était conclue, «Vous voyez cet engagement — et il montrait un contrat de tournée en Amérique d'un million — avec un tel contrat, vous pensez que je n'ai pas peur des concurrents ». La guerre en décidera autrement.
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Pégoud mobilisé à Verdun pour des expéditions lointaines. « -Nous aurons leurs " Zeppelin "! J'ai ce qu'il faut. Et si besoin est, un virage spécial pourra suffire. Un geste rapide expliquait la manoeuvre -audacieuse sans doute, dangereuse, certes, mais heureuse en résultats. -Nous allons voir ça; mais les Allemands n'ont qu'à bien se tenir. Ils doivent me craindre : je leur ai déjà repris tant d'argent... »
D’abord affecté à la défense de Paris, on craint les raids des Zeppelins allemands sur la capitale, Pégoud la quitte rapidement.
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Nous aurons leurs " Zeppelin "! J'ai ce qu'il faut. |
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Il va rejoindre Verdun avec un Blériot XI biplace préparé spécialement pour lui. Une note de service du sous-secteur de l’artillerie du Bois Bourru l’annonce : « Cet après-midi arriveront par la voie des airs, de Paris, deux aéroplanes montés par Pégoud et Garros ». Mais, erreur, le rédacteur de la note a confondu ou mal compris le message téléphonique.
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Profil du Blériot |
La popularité de Garros fait de l’ombre à Garaix, soldat, arrivant avec son appareil «expérimental » Paul Schmitt. Pégoud rejoint la HF 7 où il est affecté. Pris en solde ledit jour avec Lerendu son mécanicien. L’escadrille HF 7 est équipée d’appareils Henry Farman. Pégoud arrive avec un Blériot et Garaix avec un Paul Schmitt, tous deux inconnus de la garnison de Verdun. Et seront pris pour des allemands.
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Plan 3 vues, Blériot XI |
Plan 3 vues, Henry Farman |
Un réservoir supplémentaire de 50 litres a été ajouté derrière la place du passager sur l’avion de Pégoud. Mais dans le désordre général, on n’a pas rééquilibré l’appareil qui se trouve donc à la fois en surcharge de près de 50 kilos et en bascule arrière avec une fâcheuse tendance à cabrer. L’avantage évident de ce dangereux ajout : voler pratiquement une heure de plus qu’avec un appareil ordinaire. C’est pour le 2e Bureau du GQG que Pégoud effectue sa première mission : Lancer des tracts au-dessus des territoires lorrains sous administration ennemie. C’est le début de la guerre psychologique pour répondre à la « désinformation allemande » Le mauvais temps contrarie ensuite le travail de l’aviation et aucune mission n’est effectuée jusqu’au 18. Le 18 août Pégoud emmène le capitaine Labordère pour une mission d’observation dans la région de Sierk. Cette mission signale des villages occupés, mais ne décèle aucune activité importante. Le 19 c’est le capitaine Burg que Pégoud emmène profondément dans le territoire allemand au-dessus du Luxembourg jusqu’à Grevenmacher.
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La comptabilité de l'escadrille inscrit Pégoud, Lerendu, son premier mécanicien et Valentin, mécanicien en second.
Appareil Henry Farman -Le Toulois- piloté par le pilote Guitou
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Au-dessus du Luxembourg Le rapport d’observation note entre 9h et 9h 30 la vision d’un régiment puis d’une brigade d’infanterie ainsi que d’un groupe d’artillerie. Si l’on en croit la presse cette mission de reconnaissance du 19 août était une mission offensive d’observation dont Burg rapporte le déroulement. Du Phare de la Loire : Le moteur ronfle parfaitement; le compteur indique 1 200 tours. Pégoud lève la main, simplement, comme tout ce qu'il fait, et nous voilà envolés. Il y a un léger brouillard, qui ne tardera pas à se dissiper. En de grands cercles, nous montons. En dix minutes nous sommes à 1 200 mètres, et, vingt minutes après, à 1 500. Impatients, nous piquons droit sur l'Allemagne, la carte devant les yeux. Voici Etain. Nous remontons au Nord, sur le Luxembourg; nous laissons la capitale à notre gauche et nous fonçons sur Grevenmacher. Là, de grosses forces allemandes sont en formation. Nous tournons au-dessus à 1 800 mètres. Je prends des notes et j'inscris sur ma carte la place exacte de leurs formations. Puis, en route pour la grande gare de T... [NDR : Trêves] à 60 kilomètres de là. Bientôt, voici un immense enchevêtrement de lignes qui se croisent en tout sens. A peine trois minutes sur ce point, et il est repéré exactement. Trois cercles comme seul Pégoud sait les faire, et en route pour le retour. Nous passons entre Thionville et Metz, et, à 11 heures, nous rentrons, par un merveilleux soleil; 350 kilomètres parcourus. Nous sommes heureux de ce voyage sans un accroc, sans une balle dans l'appareil : rien que le ronflement continu de notre moteur. Après une de ces descentes vertigineuses dont Pégoud a le secret, nous arrivons devant le hangar. »
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Pégoud et Lerendu rencontrent les artilleurs du Bois-Bourru pour leur demander de cesser les tirs fraticides |
Pégoud ne participera pas aux missions de renseignement du lendemain, mais emmène l’artilleur Monternier équipé de grenades, de bombes incendiaires et de deux obus de 45 qu’ils lancent sur deux convois. Leur appareil touché par la mitraille est hors d’usage. Venu remplacer son avion, Pégoud retrouve à Paris une ambiance qu’il a bien connu. « Le correspondant à paris de l'Exchange Telegraph Company envoie les renseignements suivants: Je viens de voir Pégoud l'inventeur du "looping the loop", au ministère de la guerre où il a reçu les félicitations du ministre. Il est venu à Paris pour obtenir un nouvel aéroplane, le sien ayant eu les ailes criblées de 97 balles et d'éclats d'obus, pendant qu'il accomplissait un raid audacieux de 180 miles [environ 290 km] en territoire germanique. Il n'a pas pu me dire où il était allé mais il m'a déclaré qu'il avait volé au-dessus du Rhin avec un officier observateur et fait sauter au moyen de bombes deux convois allemands.» (l’Humanité, 22 août 1914) Pégoud, accompagné de l'artilleur Monternier, parti dès l'aurore, est allé, mardi et mercredi dernier, lancer sur l'ennemi, tout en faisant des observations extrêmement claires, des grenades et des bombes incendiaires et deux obus de 45. . Grâce à leur tir précis, ils ont réussi à faire sauter deux convois très importants. Malgré la mitraille, ils effectuèrent à la lettre le programme qui leur avait été soumis. « Excelsior » ajoute : « Pégoud et Monternier qui, sans doute, vont recevoir la récompense que légitime leur acte héroïque, sont revenus hier à Paris où ils ont été longuement félicités au ministère de la guerre. Les deux aviateurs sont venus chercher, un nouvel appareil pour remplacer leur; avion rendu inutilisable par les balles et les éclats d'obus qui l'ont atteint. » « Une ovation des plus chaleureuse a été faite, hier soir, à l'héroïque aviateur Pégoud. De retour de la frontière, celui-ci était venu chercher, à son domicile à Montmartre, sa correspondance et divers objets. Au moment de remonter en automobile, à l'angle des rues Custine et Becquerel, il fut reconnu par les passants qui, bientôt attroupés, l'acclamèrent frénétiquement; certains l'embrassèrent même en le serrant dans leurs bras. Emu jusqu'aux larmes, l'intrépide soldat aviateur voulut se dérober. Mais ce fut que difficilement qu'il réussit à prendre place au volant de sa voiture qui dérapa tout de suite en vitesse par la rue Bachelet poursuivie par les cris de "Vive Pégoud". » De retour au front, le 1er septembre, c’est encore pour le haut commandement qu’il effectue la mission qui lui fait quitter Verdun. Pégoud est en effet rayé des contrôles comptables de l’escadrille M F. 7 le 1er septembre et y sera réintégré le 22, de même que Lerendu qui l’accompagne comme mécanicien-mitrailleur. |
Montage" patriotique" à la gloire de Pégoud.
Pégoud et Monternier posent lors de leur venue à Paris chercher un nouvel avion.
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Du 1er au 22 septembre ils quittent le front de Verdun pour une mission au Centre d'aviation de Maubeuge dont le Haut commandement est sans nouvelle. Mission mouvementée puisque Maubeuge est tombée aux mains des Allemands mais les autorités ne le savent pas. A partir des carnets tenus par Pégoud, Paul Bonnefon fait le récit de cette équipée.
« De Verdun à Maubeuge A Maubeuge, au début de septembre, son sang-froid lui vaut sa première citation. On savait la ville, investie, mais on ignorait encore son sort. Le 2 septembre 1914, Pégoud est envoyé en mission, avec son mécanicien Lerendu, pour Reims et Maubeuge.
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Dispositif expérimenté avant-guerre mais que n'a jamais utilisé Pégoud. |
Dominant la bataille de Suippes, l'aéroplane est atteint de quelques balles dans les ailes, ce qui, après un assez pénible atterrissage à ReiM.S., oblige à venir à Buc pour réparations. Nouveau départ, le 6, et, vers 10 heures, on est au- dessus de Maubeuge, non sans quelque panne aisément réparée, au nord de Compiègne. Pégoud s'apprête à atterrir au camp d'aviation de Maubeuge, quand il remarque que les hangars sont vides. Aussitôt de gros obus noirs éclatent autour de lui. Des éclats atteignent même l'appareil. Il remonte à pleine puissance du moteur, et, perdu dans les nuages, peut observer quelque peu. La place a succombé, plusieurs villages des environs sont en flammes: il n'y a qu'à retourner au plus vite. Mais l'essence va manquer, car il vole depuis cinq heures! Après avoir dépassé Lille, l'avion se soutient encore pendant un certain nombre de kilomètres, mais à une faible hauteur. Désormais on ne saurait aller plus loin. Pégoud aperçoit un champ entouré de bois, en forme de fer à cheval. C'est là qu'il descendra à tout hasard, sans savoir si le pays est envahi. Il est près de Combles, dans la Somme, entre Albert et Péronne. L'ennemi est venu jusque-là, comme en témoignent des cadavres allemands gisant sur le sol. Pégoud cache, autant que possible, son appareil dans le bois et se met à explorer les environs, en quête d'essence pour repartir. Après bien des péripéties, il finit par en trouver deux bidons, chez un maréchal-ferrant qui en avait enfoui dans sa cave, et obtient trois litres de ricin chez un pharmacien. Il pourra se sauver. Dès le lendemain, à l'aube, il se met en route, et c'est heureux, car, au moment du départ, des uhlans apparaissent et se hâtent de tirer des coups de feu. Mais l'avion prend de l'espace et peut gagner Abbeville, où Pégoud et Lerendu se restaurent un peu, car, en vingt-quatre heures, ils n'avaient absorbé que deux œufs. » La 3ème armée après la bataille de Revigny s’établit au nord et à l’ouest de Verdun. Les escadrilles qui lui sont attachées déménagent. Le 22 septembre la MF 7 part pour Clermont en Argonne.
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Pégoud pose devant son Blériot XI
Evolution du front dans la première quinzaine de septembre.
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Missions offensives à la MF 7 « C'est seulement le 27 septembre que Pégoud fit établir, sur son monoplan Blériot, un support de mitrailleuse, destinée à la chasse des appareils ennemis.
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Pégoud devant son Blériot XI équipé de mitrailleuse en place observateur. A gauche Lerendu |
Le Bériot objet de curiosité pour les civils et les militaires |
Mais il ne s'ensuit pas que, jusque-là, ses explorations fussent sans effet direct: souvent on lui donnait pour mission de lancer des fléchettes sur les rassemblements allemands, et son ingéniosité s'en tire à merveille. Il le note avec satisfaction. « A Avillers, mentionne-t-il, le 29 septembre, lancé une boîte, de 500 fléchettes, qui jettent la débandade dans le parc. Remarqué la dispersion en tous sens. » Le lendemain et le surlendemain, Pégoud détruit deux Drachen. « Un Drachen à Deuxnouds-aux-Bois avec rassemblement. Lancées quatre boites de cinq cents fléchettes. Le Drachen atteint tombe sur le sol, à demi dégonflé au milieu d’une fuite générale. A ce moment une trentaine de coups de canon sont tirés sur l’avion, les obus à quelques centaines de mètres d’écart. L’après-midi prend la direction de Combres. Au-dessus des Eparges, à 1 500 mètres d’altitude, reçues balles dans le moteur. La tubulure d’un cylindre est traversée, et une tige de soupape brisée. Le moteur continuant à tourner, la tige brisée fauche, dans sa rotation, la partie avant de l’appareil. Atterrissage normal en vol plané de 10 kilomètres avec tous les projectiles, à l’ouest du fort de Rozellier. » Le lendemain l’avion démonté est transporté au centre d’aviation de Verdun.
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Fléchettes en acier dites Balles Bon du nom de leur inventeur |
Citation à l’ordre de l’Armée en date du 9 Octobre 1914 : « Soldat Aviateur Réserviste : se dépensant sans compter, a fait preuve, depuis le début de la campagne, de qualités exceptionnelles de hardiesse et de sang-froid, particulièrement au cours d’une mission. A eu par trois fois son avion criblé de projectiles. » 31 octobre, Télégramme « Directeur Service Aéronautique G.Q.G. à Ministre Guerre (12e direction) BORDEAUX N° 6946. 31/10 Avions allemands venant constamment survoler VERDUN et jeter bombes, le commandant de l'armée demande immédiatement appareil spécial de chasse. Pégoud pourrait utiliser avion MORANE biplace 80 chevaux RHONE non parasol actuellement en service chez constructeur. Pour donner satisfaction à armée VERDUN et à défaut autre appareil existant actuellement vous demande acheter un de ces appareils. Pégoud pourrait réceptionner cet appareil à VILLACOUBLAY et le conduire à VERDUN qui dispose de l'armement nécessaire. Signé BARES » Mais les monoplans à ailes médianes types G et H sont déjà dépassés et c’est un Morane Parasol type L qu’Adolphe Pégoud vient finalement chercher en novembre chez Morane-Saulnier à Villacoublay. Avec cet appareil Pégoud est le premier pilote de chasse officiel de l’aviation. Nommé caporal le 27 octobre, puis sergent le 7 novembre, il va l’utiliser de concert avec son bon vieux Blériot XI-2. C’est heureux qu’il puisse disposer de deux appareils, car le 25 novembre le M S, c’est ainsi qu’on le désigne dans les documents de l’escadrille, est mis hors d’usage. « Vu un avion ennemi à 2 500 mètres environ ; lui donne aussitôt la chasse. A 1 000 mètres, commencement du tir de la mitrailleuse. Après quatre bandes de 24 cartouches, la culasse s’enraye et il est impossible de la remettre en état. La poursuite continue néanmoins contre l’ennemi qui riposte. Une panne de moteur m’oblige à atterrir à Montfaucon sur un terrain en pente et une roue de l’appareil s’affaisse. Aucune rechange. Il faut démonter l’avion et le ramener à Verdun sur une remorque. » « 19 décembre 1914. J'ai l'honneur de vous rendre compte que, aujourd'hui 19 décembre, de 14 à 15 heures, le sergent Pégoud, pilotant son nouvel avion de chasse, a fait un vol circulaire autour de Verdun en vue de bien se faire reconnaître des troupes et batteries de la Place. Ce vol a été annoncé par un message téléphoné que j'ai adressé au général gouverneur à 11h 30. Au cours de ce vol, l'avion qui volait cependant très bas, et était bien reconnaissable, a été l'objet de la part des troupes d'infanterie stationnées à Bras d'un feu violent. Plus de vingt balles ont frappé l'appareil, quelques-unes dans des parties importantes. trente-six heures de réparation au moins sont nécessaires. » La roue de rechange se fera attendre et le chef d’escadrille devra insister pour qu’elle arrive. « J'ai l'honneur de vous prier de vouloir bien appuyer la demande que je viens d'adresser par télégramme au Service des Fabrications, en vue de hâter l'envoi des pièces de rechange de l'avion Morane parasol du sergent Pégoud. Cet avion se trouve actuellement immobilisé par suite du voilage d'une roue; les poursuites auxquelles il s'était livré jusqu’ici permettent de penser qu'il est apte à rendre de très bons services comme avion de chasse. » (26 décembre 1914). |
Un aviateur de la MF 25 devant le MS parasol N° 230 armé d’une mitrailleuse.
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Missions de bombardement Avec le Blériot les missions de bombardement —avec passager ce sont deux obus qui peuvent être emportés, en monoplace deux râteliers installés sur le côté permettent d’en prendre 8. Deux obus sur Vauquois le 22 décembre. Avec le M S parasol les missions de chasse. Toujours le 22 décembre, deux poursuites d’avions allemands sans résultat. Le 27 décembre, temps nuageux. «Temps nuageux. Matin, observation Verdun: aucun avion boche. A 13h. 30, pars avec huit obus vers Nantillois. A 1 400 mètres, sur Bras, rentre dans nuages. Brouillard, pluie continue sur Nantillois. Taxi toutes positions; vois rien. Essuie lunettes continuellement. Boussole coincée. Après une heure et demie d'ennuis de toutes sortes, pique pour me reconnaître. Aperçois à 600 mètres, sous brouillard, beau drachen. Lance mes huit obus, panique générale dans rassemblement. Reçois nombreux coups de canon. Remonte dans brouillard, me reperds, repique pour voir, vole à 1000 mètres, remonte brouillard, repique à 800 mètres. Equilibre appareil et boussole et prends direction sud-ouest. Reste une heure d'essence. Grinche comme un voleur. Sais pas où je suis et reçois coups de canon. Suis à 800 mètres; remonte, brouillard. Repique; aperçois gare, assez grande. Reçois coups de canon, remonte brouillard; repique après vingt minutes, me retrouve sur gare. Rugis comme un fauve. Essence: 15 litres. Reçois coups de canon, prends résolution de voler sous le brouillard à 800 mètres, prends direction sud-ouest jusqu'à épuisement essence, malgré coups de canon. Aperçois au loin petit village. Approche. Reconnais Etain. Respire à pleins poumons. Sauvé! Mille tonnerres! Pique plein moteur. Plein vent dans le nez; avance pas; essuie toujours et toujours lunettes. Casse un verre avec son encadrement. Survole Etain à 400 mètres; pique toujours plein moteur. Arrive à Verdun plein brouillard; à 50 mètres, reçois grêle et pluie. Ne vois rien. Œil me fait très mal. Atterrissage superbe malgré tout, comme impression. Respire nez au vent, pleins poumons. Mais mille polochons, ouvrirai l'œil plus que jamais. Rapport fait de suite. Capitaine épaté se gondole avec officiers. ». Mission retracée plus sobrement dans le JMO de la 3e armée: « Escadrille 25: un avion lance 12 obus sur un objectif spécialement désigné. Le sergent Pégoud profite des nuages pour descendre à 600m et lance 8 obus sur un drachen ballon. » Quoiqu’il n’y soit pas encore administrativement détaché Pégoud travaille avec l’escadrille M F. 25 qu’il vient de rejoindre Les rapports quotidiens de missions comportent plusieurs rubriques régulières qui montrent les objectifs des patrouilles : Avions et pilotes employés au service de l'artillerie. Avions et pilotes employés aux reconnaissances d'armée. Avions et pilotes employés aux reconnaissances aériennes. Avions et pilotes employés aux missions offensives; nombre et nature des projectiles lancés et nature des objectifs, leur emplacement.
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Pégoud devant son Blériot XI N° 239 équipé pour le bombardement de deux rateliers pour un total de 8 obus
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23 janvier 1915. 3e armée. Escadrille M F. 25 Avions et pilotes employés au service de l'artillerie : M S. de Pégoud. Reconnaissance d'artillerie. La partie est de l'Argonne étant couverte seuls les environs de Péronne ont pu être observés. Le lieutenant Picard signale les emplacements de batterie dont quelques-unes en construction. 27 janvier 1915. 3e armée. Escadrille M F. 25. Avions et pilotes employés au service de l'artillerie. 28 janvier 1915 Escadrille 25 : Compte-rendu, pilote Pégoud, mitrailleur Lerendu. 2 reconnaissances poursuite avions Boche: 1er départ 9 h 45; atterrissage 11 h 2e départ: 13 h 05; atterrissage 14 h 20 Reçu coups canon gros calibre A défaut de dispositif pour fléchettes, lance 2 obus sur Drachen au sud Ardeuil. Bons résultats. Drachen au sol et treuil complètement encadré par obus. Reçus coups canon gros calibre 31 janvier 1915. 3e armée. Escadrille M F. 25 Avions et pilotes employés aux reconnaissances d'armée: Essai de reconnaissance sur Morane. Arrêtée par la brume et la neige. Pégoud et lt d'Auchalt L'avion est assailli par des bourrasques de neige et revient atterrir. M S. Lieutenants Picard, Pégoud. Reconnaissance partielle à cause des nuages et du vent. Situe exactement quelques emplacements de batterie. 2 février 1915. 3e armée. Escadrille MF 25 Avions et pilotes employés aux reconnaissances aériennes: M.S. Pégoud, lieutenant d'Ancholt 1 convoi de Challerange à Autry. Parc d'aviation sud est cote 109 à l'est de Montfauxelles. 1 train en gare Challerange. 1 à Monthois se dirigeant sur Vouziers. 1 Vouziers Challerange. 1 Somme Py Challerange. Drachen au sud d'Arcueil. Journaux sur Vouziers. 3 février 1915. 3e armée. Escadrille M F. 25 Avions et pilotes employés aux reconnaissances aériennes: M S. Pégoud, lieutenant Maire Durée 1 heure 25 Départ 14 h 35. Retour 16 h. Itinéraire : Vienne la Ville - Challerange - Donziers - Quatre Champs - La Chesne - Chation sur Bar - Busancy - Verpel - Grand Pré - Senue - Grand Maure - Binarville - Le Four de Paris. Train gare Autry. Vaulx le Mau?? et Fermes ( Trains garés avec plusieurs rames de wagons ) Drachen ballon à Ardeuil Train en marche sur Ardeuil à 15 h 10 partant de Challerange Train en marche sur Challerange à 15h 10 partant de Ardeuil. Petit train partant de Vouziers vers Ballay à 15 h 20 Convois allant de Beffre vers Versel à 15h 30 Convoi arrêté sur la route de Beiquenay?? 4 février 1915. 3e armée. Escadrille M F. 25 Avions et pilotes employés aux missions offensives; nombre et nature des projectiles lancés et nature des objectifs, leur emplacement Deux reconnaissances de Pégoud sans résultat. |
Pégoud vétu de son manteau de peu de chèvre devant son Morane. Le mateau est réservé aux activités terrestres car trop encombrant pour voler. |
Trois victoires le 5 février 5 février 1915. 3e armée. Escadrille M F 25 Avions et pilotes employés au service de l'artillerie MF 134. De St-Pierre. lieutenant Amoudruz. Ne peuvent régler la batterie ne tirant plus. MF 134 Adj Maire, lieutenant Liard??. 2 réglages complets MF 144 Adj Laporte lieutenant Garriau. 2 réglages complets. MF 144 lieutenant Parent, lieutenant Garriau. 2 réglages complets. Avions et pilotes employés aux missions offensives; nombre et nature des projectiles lancés et nature des objectifs, leur emplacement M.S. Pégoud, Lerendu Mitrailleur. Croise au-dessus de la zone de réglage Croix-Gentin et permet les réglages. Se dirige vers le nord et descend un Taube. S'attaquent à 2 Aviatik qu'il touche et force à atterrir en chute. Tous les appareils ont été canonnés Ces missions ont été retracées par Pégoud dans ses carnet : «Temps très clair. A 9 h. 35, pars sur Morane, avec Lerendu, et deux heures vol, pour reconnaissance avions boches et protéger nos avions. A 2000 mètres, survolant région Grand-Pré, arrive un Taube direction sur moi. Le charge à environ 50 mètres en dessous, avec mitrailleuse. Il fait demi-tour; le poursuis à environ 100 mètres de distance, continuant à le mitrailler. Après une minute de poursuite, Taube, très nettement atteint, fait une longue glissade sur l'aile gauche et tombe en chute, l'avant de l'appareil entouré de fumée, et de feu, et des lambeaux de toile déchiquetés aux ailes, Presque aussitôt deux Aviatiks, l'un survolant la région sud-est de Grand-Pré, l'autre survolant la région nord-est Mont-faucon. Attaque avec mitrailleuse le plus rapproché, celui vers Grand-Pré. Aux premiers coups de feu, Aviatik pique plein moteur; charge sur lui verticalement avec moteur et mitrailleuse. Vu très nettement Aviatik touché par mitrailleuse. Après l'avoir vu piquer complètement dans le vide, redresse mon appareil à 1500 mètres, reprends de la hauteur en me mettant à la poursuite du deuxième Aviatik, survolant en ce moment Montfaucon. L'aborde à environ 40 mètres en dessous, avec mitrailleuse. Aviatik soutient le combat pendant environ cinquante secondes, ripostant par fusil automatique. Se sentant touché, l'Aviatik pique dans un virage. Le charge en vol plané, verticalement, faisant tirer continuellement mon mitrailleur. Ai vu très distinctement Aviatik touché par mitrailleur aux ailes et à la queue. Après l'avoir vu disparaître dans le vide, à 1400 mètres, redresse mon appareil; suis encadré par obus ennemis petit et gros calibre. Atterris Sainte-Menehould à 1 h. 45. En atterrissant, rentrant avion hangar, et pas prévenu, ne vois pas Morane derrière moi, l'accroche avec aile gauche: deux ailes démolies, la sienne et la mienne. Escadrille M. F. 37 vient d'atterrir et en fais partie, à la date du 6 février 1915. Fais monter mon Morane de réserve pour remplacer le premier. Reçois félicitations de tout le centre, du commandant et son état-major. Le général Julien, commandant le génie, vient me voir et me félicite, m'invite à dîner pour ce soir. Ensuite le commandant des étapes et plusieurs officiers me félicitent et m'invitent à dîner pour après-demain soir. Fais mon rapport; reçois félicitations sur toute la ligne. Me prépare pour aller dîner avec général. Arrive hôtel Saint-Nicolas à 7 heures, où il mange avec, tout son état-major. Environ quarante couverts. Présentation à tous. Dîner très charmant; pas de cérémonie et d'étiquette, très intime. Reçois félicitations de tous, qui me demandent renseignements. Tout le monde se retire 8 h. 30. Chic et gentil. Rentré et couché.»
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Compte-rendu officiel Parallèlement au Carnets dans lesquels Pégoud se laisse aller à son style personnel ert aux anecdotes, il rédige au retour de chaque mission un rapport officiel. Celui du 5 février se limite aux faits aéronautiques. « Compte-rendu de la chasse aérienne effectuée le 5/2 par Pégoud et le mitrailleur Lerendu de l'escadrille MF 25. Survolant la région de Grand Pré, un Taube arrive dans ma direction. Je le charge à environ 50 m avec ma mitrailleuse: le Taube fait 1/2 tour, je le poursuis à 100m, tandis que mon mitrailleur tire sans relâche. Après une minute de poursuite, le Taube fait longue glissage sur l'aile gauche et tombe, l'avant entouré de fumée et de feu, des lambeaux de toile déchiquetée aux ailes, au Sud de Grand-Pré.
Morane Saulnier Parasol avec la mitrailleuse sur trépied pour éviter le cercle de l'hélice et servie par le passager. Sainte Ménéhould, février 1915.
Dans la même région, j'aperçois alors 2 Aviatiks dont l'un survole la zone N:E. de Montfaucon. A coups de mitrailleuse, j'attaque le plus proche. Au premier coup de feu, l'Aviatik pique, je charge sur lui verticalement, en faisant tirer mon mitrailleur et je vois nettement l'Aviatik touché par ma mitrailleuse qui pique dans le vide. Je redresse alors mon appareil à 1500m. Je reprends de la hauteur et poursuis le 2ème Aviatik qui survolait la zone E. de Montfaucon. Je l'aborde à coup de mitrailleuse, à environ 40 mètres au-dessous. Pendant 30 secondes, l'Aviatik soutenait le combat à coup de fusil automatique, mais bientôt touché il pique dans un virage. Je le charge en vol plané vertical en faisant tirer continuellement ma mitrailleuse et l'Aviatik touché aux ailes et à la queue disparaît dans le vide. Entouré par des obus ennemis de tous calibres, j'atterris à Ste-Menehould. Pégoud ». Son rapport officiel est transmis. 8/2/15. « Le chef d'escadron Faure, chef du service aéronautique de la 3e armée. A Monsieur le général commandant l'armée J'ai l'honneur de vous adresser ci-joint copie du rapport qui m'a été remis par l'adjudant Pégoud de l'escadrille 37 à la suite de sa reconnaissance de chasse du 5 février. Bien que les appareils ennemis poursuivis aient pris contact avec le sol dans l'intérieur de leurs lignes, j'estime que le récit de l'adjudant Pégoud est entièrement véridique. Ci-joint, d'ailleurs u extrait du compte-rendu du 3e C.A. confirmant une partie de la déclaration des aviateurs. Je demande que l'adjudant Pégoud soit proposé pour la médaille militaire, ajoutant que ses services antérieurs, la constance de son zèle et de son dévouement, et sa haute valeur en tant qu'aviateur militaire suffiraient à justifier cette proposition. Je demande, d'autre part que le soldat mécanicien Lerendu soit l'objet d'une citation à l'ordre de l'armée : "Etant mitrailleur à bord d'un avion piloté par l'adjudant Pégoud, a, par la précision de son tir provoqué la chute de trois aéroplanes ennemis.". » Ces trois victoires, bien que reprises dans le résumé des opérations aériennes n° 7698 du 6 février 1915, sont diversement décrites dans les citations accordées aux deux héros ! Signe évident du flou qui règne à cette époque où les procédures d’homologation des victoires aériennes n’ont pas encore été mises au point... Pégoud reçoit la Médaille militaire, pour prendre rang du 17 février 1915, avec le motif suivant : « Adjudant réserviste à un groupe d’aviation. A, à plusieurs reprises, poursuivi des avions ennemis. Le 5 février 1915, a attaqué à bonne distance un monoplan et en provoqua la chute ; presque immédiatement après, il put rattraper deux biplans successivement, provoquer la chute du premier et forcer le second à l’atterrissage ». Le motif de Lerendu, cité à l’ordre de l’armée par ordre du 13 février 1915, est à la fois plus laconique et plus catégorique : « Étant mitrailleur à bord d’un avion, a par la précision de son tir, provoqué la chute de 3 aéroplanes ennemis. » Le 9 février 1915 l’ Excelsior, probablement sous la plume de Jacques Mortane qui grâce à ses relations au GQG suit les opérations , peut rapporter les événements, en masquant toutefois les éléments trop précis. « Pégoud continue... Le 5 février, aux environs de Sainte-M... Pégoud, avec pour observateur le sergent L... apprenant qu'un Taube survolait nos lignes, a pris l'air et a mitraillé l'appareil qui descendit en flammes. Deux Aviatiks venant au secours de leur camarade, ont été mis, par lui, aussitôt après, hors de combat; l'un a dû descendre en vol piqué, et l'autre s'est enfui, à coup sûr touché. Les projectiles des canons allemands entourèrent alors Pégoud qui trouva moyen de rentrer sain et sauf à son point de départ » Les M S. parasol commencent à être livrés au front en équipant de nouvelles escadrilles. Créée le 23 janvier 1915 sur le terrain de Châteaufort (78), l'escadrille M.S. 37 est équipée de Morane-Saulnier biplace type L. Placée sous le commandement du Capitaine Louis Quillien, elle est affectée à l'aéronautique de la 3e armée. La 3e armée est engagée sur l'Argonne et le Vauquois que ses unités vont conquérir, le 17 février 1915. Pégoud y est affecté le 6 février. Pégoud lui-même peut disposer de deux appareils Morane-Saulnier, ce qui ne l’empêche pas de continuer à utiliser son Blériot. Avec l’un ou l’autre de ces avions Pégoud effectue en février neuf missions dites « offensives » souvent en compagnie de l’adjudant Peretti. 2 mars 1915. 3e armée. Escadrille M.S. 37 Avions et pilotes employés aux missions offensives; nombre et nature des projectiles lancés Un avion piloté par l'adjudant Pégoud. Aucun avion allemand n'a été aperçu. 4 mars 1915. 3e armée. Escadrille M.S. 37 Avions et pilotes employés aux reconnaissances aériennes: Cinq reconnaissances faites par le capitaine Quillien, le sous-lieutenant Feierstein, le sous-lieutenant Peretti (deux fois), l'adjudant Pégoud. Avions et pilotes employés aux missions offensives; nombre et nature des projectiles lancés Deux avions pilotés par l'adjudant Pégoud et le capitaine Quillien Les avions de chasse n’ont rencontré aucun avion ennemi. Pas de mission jusqu’au 27 mars. Les 27, 28, 29 il poursuit des avons ennemis sans résultat. 30 mars 1915. 3e armée. Escadrille M S. 37 Avions et pilotes employés aux missions offensives; nombre et nature des projectiles lancés et nature des objectifs, leur emplacement Quatre avions pilotés par le lieutenant de l'Hermite, le sous-lieutenant Feierstein, le sous-lieutenant Peretti, l'adjudant Pégoud. Aucun avion ennemi n'a été rencontré.
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Compte-rendu de la chasse aérienne effectuée le 5/2 par Pégoud et le mitrailleur Lerendu de l'escadrille MF 25. |
1er avril 1915. 3e armée. Escadrille M S. 37 Avions et pilotes employés aux missions offensives; nombre et nature des projectiles lancés Six avions et tous les pilotes de l'escadrille. L'adjudant Pégoud, pilote, le soldat Lerendu, mitrailleur, ont poursuivi trois avions allemands et en ont abattu un. Victoire inscrite dans le carnets : Taxi neuf, moteur moche. Plusieurs boches venus survoler Sainte-Menehould, lancent bombe. A 15 h 20 pars sur une machine avec Lerendu, poursuivis Aviatik survolant région Sainte-Menehould à environ 3 000 mètres. Commence à le mitrailler à environ 1 500 mètres en-dessous. Prends de la hauteur, le poursuis avec mitrailleuse jusque dans ses lignes où il pique aussitôt. Survolant région Sommepy, poursuis deuxième Aviatik en ayant direction sud. A mon approche Aviatik fait demi-tour, à environ 1 800 mètres de distance, le poursuis avec mitrailleuse dans ses lignes où il pique. Survolant région Hurlus à 2 500 mètres, charge un troisième Aviatik survolant la même région à environ 2 100 mètres. L’attaque à environ 50 mètres au-dessus, avec mon revolver et mon mitrailleur avec carabine à répétition. Aviatik cherche à reprendre de la hauteur, en ripostant avec fusil automatique. Continue à le survoler de très près, mitrailleur et moi tirant sas relâche. L’Aviatik certainement touché, pique brusquement au sol ; n’ai pu surveiller sa chute, mon moteur commençant à bafouiller par manque d’essence. Atterris tout près du terrain 16 h 20. Reçu, au cours de la lutte, une balle dans l’aile gauche. Reçois confirmation du capitaine de l’escadrille et du capitaine d’artillerie de la ligne de feu qu’Aviatik avait chuté dans ses lignes, près de ligne de front. » Nouvel exploit de Pégoud. 6 avril, Le Gaulois. Nouvel exploit de Pégoud. « Nos aviateurs continuent à déployer, sur tout le front, une énergique et heureuse activité, qui s'est traduite, ces jours derniers, par la capture de deux avions allemands. Le premier de ces avions a été pris à Sainte-Menehould. Samedi, un Aviatik survolait la ville il avait comme objectif la ligne de chemin de fer, sur laquelle il lança neuf bombes, dont pas une d'ailleurs n'atteignit son but. Elles tombèrent dans une prairie voisine et ne firent aucune victime. L'Aviatik se tenait à une très grande hauteur, d'où il lui était difficile de viser juste, mais où il était invulnérable aux obus des canons spéciaux qui tonnaient vainement contre lui. A ce moment, l'aviateur Pégoud s'élança dans les airs aux acclamations de la foule que les détonations avaient attirée. Mais l'Aviatik refusa le combat et s'enfuit à tire d'aile. Quelques heures plus tard, deux avions ennemis étaient signalé, et nos aviateurs s'élevèrent aussitôt pour les recevoir. Ce que voyant les Allemands n'approchèrent plus. Vers le soir, nouvelle alerte. Un Taube venait. Mais du moins, celui-là ne s'en retourna pas. Pégoud faisait sa ronde. Il fonça sur l'oiseau boche si rapidement qu'il put l'atteindre au-dessus de Somme-Bionne. Là, quelques coups de fusil bien ajustés eurent raison du Taube, qui piqua du nez et tomba en vol plané, Tandis que Pégoud, victorieux, venait s'abattre auprès de lui. Les deux aviateurs allemands, le pilote et l'observateur, sans blessures, furent faits prisonniers. » |
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Cette victoire lui vaudra la croix de guerre qui lui sera remise le 8 aril 1915
12 avril, 13, 17 avril Pégoud sort avec Lerendu. Pégoud a reçu trois balles, l'une a traversé l'hélice, une autre a traversé le capot une troisième a coupé un hauban. . 3e armée. Escadrille MS 37 Avions et pilotes employés aux missions offensives; nombre et nature des projectiles lancés Un avion piloté par l'adjudant Pégoud L'adjudant Pégoud et le soldat Lerendu, ont attaqué un avion ennemi et l'ont mis en fuite. Au cours de la lutte l'avion de l'adjudant Pégoud a reçu trois balles, l'une a traversé l'hélice, une autre a traversé le capot une troisième a coupé un hauban. Le 18 avril 1915, l’adjudant Pégoud est affecté à l’escadrille MS 49
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A la MS 49 sur le front de la 7e armée.
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Le personnel navigant de l’escadrille MS 49 à son arrivée sur le terrain de Belfort le 22 avril 1915. De gauche à droite, debouts : Lt L’Huillier (observateur), Lt Lucas (observateur), Sgt Gilbert, S/Lt Clément (observateur), Lt Roeckel, Cne Zarapoff (commandant l’escadrille), S/Lt Courrière, Adj Jensen. Assis : S/Lt de Mintéguiaga (observateur), S/Lt Robert, Lt Gastin, Adj Pégoud. Le MS type L derrière eux est orné de deux fétiches, un pantin sur le capot au capitaine Zarapoff et un singe sur l’aile à Pégoud. |
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Pégoud arrive à l’escadrille le 22 avril avec un Nieuport X biplace, le N° 101 qu’il est allé chercher à la Réserve. Ce Nieuport dont l’aile est dotée d’un trou central pour que le mitrailleur puisse se lever et tirer par-dessus le champ de l’hélice, sera aussi utilisé en monoplace en couvrant le poste passager d’un contreplaqué. La mission du 28 avril — survoler la région de l'Hartmanswillerkopf, Bolwiller, Guebwiller. Durée du vol 2 heures.- Noter si possible observations de mouvements éventuels sur routes de la région, donne lieu à une de ses initiatives : « 28 avril. Temps beau; aucun appareil disponible dans escadrille, pars sur Morane, avec Lerendu, à 9 heures pour surveiller région Mulhouse, Guebwiller Thann, contre avion boche. Survole toute la région atterris en surveillance, de moi-même, au sommet de la montagne sur les Vosges, nommée le Rossberg. A côté de Thann, altitude 1196 mètres. A 4 kilomètres du front. Terrain très mauvais et petit. Couvert de neige. Impression merveilleuse, féerique: domine toute la région. Aperçois Aviatik survolant région Guebwiller. Pars à sa poursuite du sommet de la montagne. Prends mon départ sur le flanc de la montagne, dans le vide, et me trouve de suite à 1200 mètres. Fonce sur Aviatik qui, m'ayant aperçu de loin, s'enfuit dans ses lignes Le mitraille dans sa descente. Reviens atterrir à mon point d'observation, goûtant délicieusement les beautés de la région. Prends nombreuses photographies. Fais une visite à tout le sommet; descends sur le flanc, visite une étable de bestiaux abandonnée et une auberge. Rapporte beaucoup de souvenirs boches. Au moment de partir, des cavaliers cantonnés au village de Moosch débouchent du sommet de la crête, les chevaux couverts de sueur, et, la carabine en joue me somme de me rendre. Après m’avoir reconnu, et l’avion aux cocardes tricolores, ils me racontent que dans toute la région l’alerte est donnée qu’un avion allemand est tombé dans la montagne. Et le boche, c’était moi ! Crevant ! surtout quand le même sous-officier venant m’arrêter avec ses hommes, j’ai reconnu un de mes bleus du 1° Hussards. Enfin je repars avec Lerendu sur Morane, dans le flanc de la montagne et rentre à Lure à 13 heures. Je trouve capitaine et tout le monde affolé, dans l'inquiétude, ayant téléphoné partout et me croyant prisonnier ou tué. Leur fais un compte rendu et m'amuse beaucoup. Déjeune, installe mes souvenirs boches dans ma tente. A 17 h 30, repars à nouveau sur Morane, avec officier mitrailleur, pour protéger contre avions boches la région Dannemarie et Altkirch. On a fait réglage de tir. Survolé Unité la région, éloigne un avion boche. Vois un fort bombardement de nos pièces. Vois un Voisin qui atterrit entre le canal et le village. Rentre à Lure. Atterris à 19 h. 50. Dîne. Reçois félicitations de toute l'escadrille. Coucher. » Fin avril, début mai, 8 patrouilles sans particularités. 7 mai 1915. Dans le cadre du rapprochement des aviateurs et des fantassins décidé par le GQG, une visite aux tranchées est organisée destinée à répondre aux préoccupations des soldats de première qui, ainsi que divers courriers interceptés le montrent, s’estiment peu protégés par l’aviation. 7 mai. -Temps couvert, pluie. Déjeune. A 14 heures, partons en voiture pour tranchées de première ligne à Aspach-le-Bas. Traversons en voiture la frontière, les villages alsaciens. C'est vraiment très joli, plein de verdure. Arrivons à X... où nous laissons la voiture, partons à pied, à travers bois, en baissant la tête pour éviter les balles et n'être pas aperçus, les Boches étant à environ 400 mètres de nous. Plusieurs pièces de 75 et 120 tirent à côté de nous. Arrivons au passage à niveau, tout près de la gare d'Aspach-le-Bas. Nous collons contre les créneaux et risquons vivement un coup d'œil. Au-dessus, le canon fait rage, autour de nous, pendant que les obus se croisent au-dessus de nos têtes. Prends un grand nombre de photos, et par-dessus les créneaux, prends le village d'Aspach-le-Bas, à 200 mètres. Les Boches sont à 150 mètres, du côté de la gare d'Aspach. Plusieurs 75 et 120 ont éclaté dans le bois près de nous, en ramasse les éclats. Épatant comme souvenir. Vais aux tranchées en rampant dans les boyaux. Regarde au périscope. Merveilleux! On voit très nettement les tranchées boches, pendant que leurs balles font rage sur les tôles d'acier. Un officier de l’escadrille a la joie de rencontrer son neveu dans la tranchée. Il y avait huit ans qu’ils ne s’étaient pas vus. Partons en prenant congé des officiers, leurs souhaitant bonne chance. J’apprends que quelques jours avant un dragon cycliste a fait, à lui tout seul, huit prisonniers dont un officier, surpris dans une maison, les Boches ayant laissé leurs armes dans un coin pendant qu’ils se réconfortaient. Se voyant sans armes, ils se sont rendus. Très bien. Remontons à la voiture pour partir. Un grand nombre d’officiers m’attendaient, m’environnent et me photographient. Le commandant se présente ainsi que tous les officiers. Reçois félicitations très charmantes de tous. Prends congé et partons pendant que les obus continuent à siffler et à tomber autour de nous dans le bois. Diner et coucher
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Nieuport X biplace, N° 101 |
Bataille de Metzeral. Détachement à Corcieux et retour:
(3 avions) Parti le 26 mai 1915, rentré le 12 juin CCC 9 juin 1915 JMO MS 49 Retour de Pégoud à l'escadrille 15 juin. Temps superbe. De service à 5 heures. Pars protéger région Thann sur alerte. Protège un Caudron contre Aviatik qui rentre plein moteur dans ses lignes. Contourne le Caudron avec mon Nieuport faisant du 150 à l’heure. Survole Dannemarie et région. Protège Caudron faisant réglage de tir sur viaduc au nord-est de Dannemarie. Au troisième coup de canon, en plein dedans. Très beau à voir : le viaduc s’écroule complètement. Le soir, protège région Guebwiller, Munster, Colmar et Kaisersthal où a lieu une attaque. Plusieurs Maurice Farman et Caudron font réglages. Nos obus font rage en plein dans les tranchées boches. Le village de Marbach est complètement en feu. Nos troupes chargent. Superbe à voir. Reçois nombreux coups de canon boches, gros calibre, très près de l’avion. Rentre à Fontaine. Plus rien dans mon réservoir. 16 juin : Temps superbe. L’escadrille doit protéger, le matin, même région qu’hier. Les avions se succèdent. Survole matin région indiquée. Suis attaqué et mitraillé par Caudron deux moteurs, me prenant pour Aviatik. Fais un virage pour montrer mes cocardes. Arrêt immédiat du tir. Le prends à mon tour en chasse et le photographie sur toutes les coutures. En outre, photographie Maurice Farman et Metzeral en feu ainsi que coups de canon. Chasse un Aviatik, qui pique dans ses lignes. Le canon fait rage sur Metzeral. Atterris Fontaine en survolant les Vosges, à 50 mètres des crêtes. Magnifique. L’après-midi, chasse un Aviatik survolant Aspach-le-Haut, qui est en feu, et région environnante. Arrive à sa hauteur et à environ 500 mètres. Aviatik tire avec mitrailleuse sur moi et pique 200 mètres environ sur moi et me mitraille toujours. N’ayant qu’une carabine pour toute arme, lui tire dessus plusieurs chargeurs en le chargeant. Pique dans ses lignes en me mitraillant toujours. Survole Aspach-le-Haut, très bas. Très émotionnant voir les flammes de la moitié du village s’élevant à environ 5 mètres de hauteur, formant un énorme brasier. La nuit étant venue, atterris à Fontaine dans l’obscurité.
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Nieuport X avec la mitrailleuse sur l'aile supérieure
Carte des missions aériennes dans la bataille de Metzeral
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17 juin :
« 17 juin. - Mes mécaniciens ayant démoli ma mitrailleuse de son appui, en sortant l'appareil hier pour chasse, la fais monter avec articulation. Le général Thevenay, gouverneur de la place de Belfort, vient nous rendre visite, à 17 heures, s'intéresse à tous les appareils et pilotes. Ensuite quelques vols sont exécutés devant lui. Buvons le Champagne dans nouveau pavillon nommé Armenonville, qui est de ce fait arrosé. Un boche étant signalé, mon appareil n'étant pas prêt, mon camarade Gilbert part sur le sien qui est en ligne de départ. Le général prend congé de nous. Le prends plusieurs fois en photo. Gilbert atterrit, nous apprend qu'il a descendu un Aviatik vers Thann.- Son appareil et son moteur ont reçu plusieurs balles. Partons en voiture pour aller voir l'Aviatik. Les douaniers et gendarmes traînent dans la pente les deux cadavres, pilote et passager, qui sont absolument mutilés, brisés de toutes parts. Le passager absolument mutilé aussi, le crâne défoncé. Nous remontons plus haut, vers l'appareil, qui ne représente plus qu'un tas de débris informes. Fuselage absolument métallique, ainsi que les ailes. Moteur admirable, 6 cylindres représentant au moins 200HP, cylindre 130 X 180. Prends des photos au magnésium, emporte souvenirs. Gilbert crie la faim, descendons en vitesse. L'escadrille Caudron est avec nous. Arrivons à la Chapelle, mangeons à la popote de l'escadrille. Buvons Champagne en l'honneur de Gilbert, et en même temps pour laver l’affront de m’avoir tiré dessus avec le Caudron deux moteurs. Couché 1 heure du matin. Avons dans notre voyage, plusieurs fois failli aller chez les Boches, les phares étant éteints à cause de l’ennemi très proche. » 27 juin : « 27 juin. - Le matin 7 h. 30, pars protéger Gilbert jusque de l'autre côté de Bâle, environ 50 kilomètres de la ligne. Gilbert continue sa mission d'aller bombarder Friederichshaffen. Je fais demi-tour, prends photo. Suis canonné très violemment, en tir très précis, par gros calibres, à l'est d'Altkirch. Remonte tout le front. Force un Aviatick à piquer dans ses lignes. Survole région jusqu'à Colmar. Atterris à Corcieux. Reviens à Fontaine, fais faire le plein et préparer l'avion. « A 12 heures, repars chercher et protéger Gilbert. Vole dans une mer de nuages. Fais trois fois Voyage de Bâle - la ligne de front. Rien! Atterris à 15 heures! Gilbert pas revenu. Ai beaucoup souffert du froid à 3000 mètres; il gèle. La journée se passe; sommes tous consternés. Pas de nouvelles. Gilbert pas revenu. 28 juin. - Enfin, ce matin, nous apprenons que Gilbert a été obligé d'atterrir par suite de panne, en Suisse, à Rheinfelden, à l'est de Bâle. A l'atterrissage, a cassé son appareil. Des soldats suisses l'ont fait prisonnier. Nous sommes très heureux qu'il ne soit pas resté aux mains de l'ennemi.» 4 juillet. Plusieurs reconnaissances. Je fais vol sur tout le front, jusqu’au Ban-de-Sapt ; atterris à Corcieux. Poursuis avion boche qui pique dans ses lignes. Déjeune Corcieux ; prends photos Corcieux, Saint-Dié, Gérardmer. Repars soir. A 2 000 mètres, réservoir crevé fuit et se vide. Craignant le feu, descend pour voler en rasant le sommet des Vosges, à seule fin de ne pas être complètement carbonisé. Avant d’arriver vallée Saint-Amartin, le pivot de manette de gaz saute et moteur s’arrête. Me vois obligé d’atterrir dans les sapins. Heureusement que moteur reprend quelques secondes et m’amène juste dessus vallée. Moteur arrêté complètement. Terrain très mauvais ; choisi le meilleur à côté rocher. Obligé faire renversement pour atterrir et m’arrêter juste avant rocher, après avoir sauté sur un tas de foin. Je me trouve sur le terrain du village de Kruth, entre ce village et Wildenstein. Prends photo du rassemblement des habitants courant. Tous Alsaciens. Téléphone à Fontaine. Fais le nécessaire pour la garde de nuit. Suis invité à la popote de l’état-major. Bien reçu. Loge à Kruth.
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Adjudant Pégoud après son atterrissage à Corcieux le 28 juin 1915. L’as se tient devant le Nieuport X N144 décoré d’un singe sur le capot. À l’arrière-plan, un MS type L dont les ailes ont été démontées.
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11 juillet 1915 : «11 juillet. - On signale un Aviatik survolant région Dannemarie. Neuf minutes après, ne vois rien; continue ma patrouille vers Thann, Belfort et frontière suisse. Survole à nouveau Dannemarie et vois au loin, vers Bâle, un point noir grossissant. Bientôt je distingue un superbe Aviatik. Cherche à attirer sur nos lignes. Plusieurs simulacres attaques. Il ne vient pas, survole ligne front. Voyant ceci, fonce dessus et immédiatement passe en dessous de lui, pendant qu'il me tire avec sa mitrailleuse vers l'arrière. Son tir n'a pas de précision, étant gêné par son fuselage. Cherche à me placer toujours en dessous, y réussis par mes évolutions souples et rapides, épousant absolument les mouvements de l'avion ennemi. Arrivé par un bond à environ 50 mètres au-dessous, commence à le mitrailler avec une première bande de 25 cartouches, en visant un peu derrière le moteur, ensuite fauchant le pilote et le passager. Après une dizaine de cartouches, l'avion pique du nez en chute; des flammes sortent du fuselage; le poursuis dans sa chute, tirant toujours et rechargeant ma mitrailleuse. A 1600 mètres, me trouvant sur lignes ennemies dessus Altkirch, redresse mon avion, en surveillant la chute de l'Aviatik qui va s'écraser sur la route, à côté d'Altkirch, entre la voie ferrée et le village, où les débris restèrent très visibles. Suis fortement canonné. Rentre à Fontaine, pendant que notre artillerie tire sur le rassemblement provoqué par la chute de l'avion, à environ 2 kilomètres de nos lignes; grande joie à Fontaine. Téléphone au Grand Quartier, au Bourget et Remiremont, reçois félicitations de partout. Mon appareil est pavoisé par mécaniciens de l'escadrille: très beau. »
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Mon appareil est pavoisé par mécaniciens de l'escadrille: très beau |
Photo reprise dans la revue l'Illustration du 4 septembre 1915 |
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13 juillet Escadrille MS 49 Rapport du lieutenant commandant p.i. l'escadrille MS 49, au sujet d'un avion ennemi descendu par un pilote de l'escadrille. Le 11 juillet, à 7h 30, l'adjudant Pégoud de service part en chasse à la suite du renseignement venu des premières lignes qu'un appareil ennemi survolait Dannemarie. Il pilote un monoplace Nieuport 80 HP, mitrailleuse Hotchkiss sur le plan supérieur. Vers 8 heures survolant la région, il aperçoit un Aviatik venant de la direction de Bale et se dirigeant sur lui. Il essaye de l'attirer dans nos positions sans y parvenir, l'avion ennemi se contentant de suivre la ligne du front sans s'aventurer chez nous. Pégoud engage alors le combat à 2.500m au-dessus des tranchées de première ligne en l'attaquant par dessous L'observateur ennemi qui est à l'avant, très gêné pour se servir de sa mitrailleuse qui tire vers l'arrière et non en dessous n'a aucune précision dans son tir malgré les virages à gauche et à droite qu'il fait exécuter à son pilote. Ne pouvant se servir utilement de sa mitrailleuse, il tire alors avec un fusil automatique sans plus de succès. L'adjudant Pégoud arrive à ce moment à environ 50m au-dessous, commence alors à tirer sa première bande de mitrailleuse de 25 cartouches en tirant 5 coups par 5 coups. Avant même que la bande ne soit complètement tiré, l'appareil pique verticalement, des flammes se dégageant de dessous l'appareil. Il décrit ensuite une petite spirale vers Altkirch, puis il pique de nouveau verticalement complètement en chute et vient s'écraser sur la route de Dannemarie à Altkirch, entre Altkirch et les voies ferrées, au nord de cette ville, où les débris restent très visibles sur la route. Pendant le combat, l'adjudant Pégoud était descendu jusqu'à 1500m au-dessus des lignes allemandes, il était aussitôt après le combat fortement canonné par l'artillerie ennemie, mais sans résultat. Les débris de l'Aviatik sur la route sont visibles de nos lignes, et notre artillerie lourde de Dannemarie prend immédiatement sous son feu, le rassemblement ennemi provoqué par cette chute. Au dire de Pégoud, l'Aviatik présentait toutes les caractéristiques de l'avion abattu par Gilbert, mitrailleuse tirant vers l'arrière et probablement aussi vers l'avant. Vitesse d'environ 126 Kms. Le Nieuport piloté par Pégoud est revenu sans aucune atteinte, ce hardi pilote s'est donc affirmé une fois de plus aussi habile manoeuvrier que courageux soldat. Signé Quillien. Avis du Chef du Service aéronautique de la 7e armée. Le combat aérien du 11 juillet est extrêmement intéressant par les conclusions qu'il permet de tirer. L'expérience est en effet probante: tandis que le Morane avec mitrailleuse tirant dans l'hélice a le grave inconvénient d'exiger que le pilote qui prend en chasse un avion ennemi se mette dans le champ de tir de ce dernier (et on sait que le tir en retrait de l'Aviatik est des plus redoutable) le biplan Nieuport, au contraire, grâce à sa mitrailleuse tirant de bas en haut, avec une grande possibilité de déplacement dans le plan vertical, permet l'attaque par en-dessous, c'est à dire dans la direction la plus désavantageuse pour l'Aviatik. Une fois sous le fuselage de son adversaire, et réglant sa vitesse sur la sienne, le pilote français tire à coup sûr en se maintenant dans l'angle mort. Cette appréciation est basée sur des faits; tandis que Gilbert au cours de ses 3 combats aériens en alsace est revenu chaque fois avec son appareil criblé de balles, le Nieuport de Pégoud est rentré absolument indemne, bien que son adversaire ait essayé de se défendre. Les conclusions du combat du 11 juillet sont donc des plus instructives, et il y aurait lieu de les communiquer à toutes les escadrilles de chasse. Elles sont des plus réconfortantes, car elles montrent que l'aviation française possède dans le biplan Nieuport avec mitrailleuse tirant de bas en haut, un appareil qui peut s'attaquer avec de grandes chances de succès à celui que nos adversaires nous opposent depuis 2 mois comme le dernier cri de l'aviation de combat. Le 13 juillet 1915, signé Voisin. |
Départ en mission
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Un nouvel appareil Nieuport X Du 15 juillet au 31 Pégoud va chercher un nouvel appareil à la Réserve de Dugny et fait procéder à diverses modifications selon ses ordres. Sa dernière victoire — la sixième, lui vaut une nouvelle citation à l’ordre de l’armée par ordre du 11 juillet 1915 : « Adjudant, pilote à l’escadrille M.S. 49 ; seul sur son appareil, a engagé un combat avec un « Aviatik » puissamment armé et monté par deux passagers, l’a abattu à portée de nos lignes après une lutte très vive où il a fait preuve d’une audace et d’une habileté au-dessus de tout éloge. » ainsi que sa nomination comme sous-lieutenant. Le 28 un Aviatik est signalé par les postes d’observation terrestres. Pégoud décolle et monte à son habitude. Arrivé à 2 000 m au-dessus de Mulhouse, il constate que son adversaire s’éloigne en direction de ses lignes tout en le mitraillant tant qu’il le peut. Alors qu’il tente de se rapprocher à moins de 600 mètres de distance, une balle perce le réservoir du Nieuport dont le moteur tombe très vite en panne sèche… Adolphe doit descendre en vol plané au milieu des éclatements de l’artillerie anti-aérienne ennemie qui le prend pour cible. Il franchit les tranchées à seulement 400 mètres de hauteur, encadré par les tirs des fantassins, et pose de justesse son Nieuport criblé de balles dans les lignes françaises. Par une ironie grinçante, c’est ce combat perdu et non sa sixième victoire, qui sera retenu comme motif de sa légion d’honneur à titre posthume.
Croix de Guerre et Légion d’honneur poshume.
il reçoit la Croix de guerre le 8 avril 1915. Le Journal officiel publie le 6 septembre les motifs de la citation à. l'ordre de l'armée de Pégoud. Pégoud, adjudant, pilote à l'escadrille M. S. 49 Seul sur son appareil, a engagé un combat avec un aviatik puissamment armé et monté par deux passagers, l'a abattu à portée de nos lignes après une lutte très vive où il a fait preuve d'une audace et d'une habileté au-dessus de tout éloge. Et le 25 septembre parait au Journal officiel, la nomination de Pégoud au grade de chevalier de la Légion d'honneur. Pégoud (Adolphe-Célestin), sous-lieutenant, de réserve à l'escadrille M. S. 49 D'un entrain et d'une bravoure au-dessus de tout éloge, aussi modeste qu'habile pilote, n'a a pas cessé, depuis le début de la campagne, de mettre ses merveilleuses aptitudes au service de son pays. Accumulant journellement les traits de courage et d'audace, n'en est plus à compter les combats qu'il a engagés seul à bord, contre des avions puissamment armés. Le 28 août 1915, a eu, son avion criblé de balles; obligé d'atterrir, a pris aussitôt toutes les dispositions pour sauver son appareil, malgré un feu intense des batteries spéciales allemandes. »
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Le Nieuport X N144 de Pégoud retourné au départ le 14 juillet 1915, alors qu’il allait survoler l’enterrement du S/Lt Courrière
Pégoud et Lerendu devant le N210 . Pégoud a fait installer un support de mitrailleuse "haut" sur la plan supérieur.
Nieuport X N210 du S/Lt Pégoud, escadrille MS 49, Fontaine août 1915
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Dernier combat
Le 31 août il s’élance à la poursuite d’avions signalés comme venant bombarder Belfort. Les observateurs le voient monter, foncer sur les avions allemands Le belfortain Louis Herbelin écrit dans son journal : « 31 août. Dans la matinée d'aujourd'hui, vers 10 heures, un taube, d'aucuns disent deux, ont survolé Belfort, mais aussitôt poursuivis par les canons et même les mitrailleuses, ils ont repris la direction de l'Alsace. L'un, que j'ai vu à une très haute altitude, a, parait-il, jeté une ou deux bombes, qui n'ont pas éclaté, près de la poste de Danjoutin. L'alarme avait sans doute été donnée au poste d'aéroplanes de Fontaine, car bientôt l'avion allemand était poursuivi et attaqué. »
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Aviatik C1 expérimental sur lequel le mitrailleur occupe la place arrière contrairement à sa position habituelle sur les Aviatik.
Aviatik C1 expérimental.
Avion de reconnaissance
Moteur: 1 Benz Bz III de 6 cylindres en ligne refroidi par liquide de 160 cv
Armement: 1 mitrailleuse Parabellum (500 coups)
Vitesse maximale: 120 km/h
Vitesse ascensionnelle: 4 000 m
Autonomie: 3 h
Poids: 846 kg à vide, 1 286 kg en charge
Envergure: 12,39 m
Longueur: 7,93 m
Hauteur: 2,95 m
Surface alaire: 43 m2
Equipage: 2
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Le combat s’engage… Un témoignage éclaire les circonstances du combat mais aussi les sentiments des spectateurs impuissants, celui du lieutenant du Génie L. occupé avec son escouade à renforcer les tranchées dans le secteur. « En quelques secondes en effet un superbe avion de grande vitesse a rejoint le boche, il passe sur lui, tac, tac, tac, tac, tac..., les mitrailleuses crépitent dans les nues, le combat est engagé, ...les poitrines battent. Le biplan allemand semble rester sur place tant est grande la vitesse de notre Nieuport. Dans sa course folle il dépasse l'adversaire, mais exécute aussitôt un virage rapide et se trouvant de nouveau en arrière, le rejoint avec la même vitesse. Tac, tac, tac, tac, tac..., encore les mitrailleuses. On respire à peine, l'émotion est intense. Un nouveau crochet, il le survole. -Il le tient, il le tient s'écrient mes poilus, regardez-le voilà qui tombe. Bravo. Complètement à pic, rapide comme une flèche, un des grands oiseaux s'abat et disparait derrière les bois. C'est une minute indescriptible..., le silence né de grandes émotions...On se regarde... Mais est-ce bien le boche qui s'est abattu? »
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Une lettre du mitrailleur allemand L'observateur allemand Bilitz décrit à ses parents le combat: « Nous étions, Kandulski et moi, en train de prendre des vues photographiques des retranchements ennemis du côté de Belfort lorsque nous voyons tout à coup un point noir monter comme une flèche du terrain d'aviation d'où partent, à chacune de nos randonnées, les avions chargés de nous chasser. Sûrs de nous, grâce à notre blindage, et puissamment armés, nous laissons l'adversaire approcher, étant décidés à l'accueillir comme il convenait. Nous savions, en effet, qu'il ne se méfierait pas de nous, notre appareil n'ayant nullement l'aspect d'un avion de combat. Nous ralentissons notre allure, descendons même, comme si nous allions au-devant de l'assaillant. Celui-ci, lorsqu'il est à une cinquantaine de mètres de nous, se place au-dessous, sur le côté, et commence à ouvrir le feu. Je riposte, grâce à la mitrailleuse qui me permet de tirer de haut en bas. De part et d'autre, les balles se perdent. Le feu continue. Un enrayage rapidement réparé m'empêche de tirer pendant quelques instants. Le Français change ses bandes avec rapidité et envoie de nouvelles salves tout en approchant. A un moment, l'une de ses balles vient heurter le blindage du fuselage, fait ricochet et va s'aplatir sur le réservoir d'essence. Je le dis à Kandulski en lui donnant l'ordre de rentrer en hâte, car je crains que notre réservoir ne soit crevé. Mon pilote obéit, non sans que je tire, par acquit de conscience, une dernière salve sur l'adversaire. Celui-ci passe au-dessous de notre appareil et disparaît. Trop occupé par la possibilité d'un atterrissage inopportun dans les lignes françaises, par suite du manque de carburant, je ne m'inquiète plus de lui. Nous parvenons à regagner sans incident notre port d'attache. Le réservoir avait été simplement bosselé. Nous racontons que nous avons soutenu un combat sans plus y attacher d'importance. »
Herbelin note encore : « L'un des nôtres monté par Pégoud, qui l'avait rejoint le serrait de près, quand tout à coup on vit descendre ce dernier à une vitesse vertigineuse. Dans la lutte, Pégoud qui montait seul son avion avait été atteint au-dessous du cœur par un projectile. L'autopsie de son corps aura sans doute établi s'il a été tué net; en tout cas son avion vint s'abattre prés de Cunelières. Quand des soldats accourus furent parvenus à retirer Pégoud de dessous les débris de son avion, son corps ne formait plus qu'une masse informe; il a été ramené à l'hôpital militaire.
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La dépouille de Pégoud après la chute avant qu’elle ne soit placée sur le reste d’une aile pour être emmenée à Belfort.
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Garros, prisonnier en Allemagne, Gilbert en Suisse et Pégoud mort, ce sont les trois principaux aviateurs français disparus, hélas! A qui le tour maintenant? Pégoud avait, pour sa part, abattu sept avions allemands. En montant ce matin dans les airs, il comptait bien faire le huitième, sans doute. Il est du moins tombé en territoire français. » Le compte de Louis Herbelin n’est pas juste — il attribue à Pégoud une victoire de trop.
Le lieutenant L. continue : « Les avions ennemis ont maintenant disparu; un des nôtres est encore dans les airs. J'ai su depuis qu'il était monté par le lieutenant C. Le calme se rétablit, seuls les coeurs battent encore et l'émotion se lit sur tous les visages. Mes hommes ont parfaitement suivi le combat et affirment la perte du français; moi-même à la jumelle j'ai très bien constaté la chute du Nieuport. Je ne puis rester sous cette impression, il faut savoir. D'autre part on a besoin de secours là-bas. ... Quelques instants après je file à toute allure. Novillard...Petit-Croix... -L'avion est bien tombé près d'ici dis-je au dragon qui passe? -Vous êtes à 500 mètres mon lieutenant, prenez ce chemin et tournez à droite. Ma bicyclette vole, j'approche, mon coeur se serre. ... Trois autos arrivent suivis de deux cavaliers. Quatre gendarmes et quelques hommes du 117e territorial maintiennent sans peine le cercle formé par les habitants d'alentour. Au centre, un grand capitaine, des officiers, des mécaniciens qui parlent tout bas. -Je m'approche de cette garde d'honneur, mais brusquement gagné par l'émotion, je m'arrête le képi à la main... J'ai vu. Le merveilleux oiseau que nous admirions dans les airs il y a quelques instants est là, écrasé sur le sol. Ce n'est plus qu'un amas de débris informes, seule une extrémité des ailes se dresse vers le ciel et laisse apparaître intacte l'immense cocarde tricolore. ... On vient de retirer son corps de l'enchevêtrement indescriptible; il repose à nos côtés, couvert de sang, informe, méconnaissable, son paletot de cuir percé de plusieurs trous... ... Successivement des officiers arrivent et saluent, Un autre avion de la même escadrille était dans les airs au moment de la chute: son pilote le lieutenant C. vient d'arriver. De loin il a assisté au combat. » « Couvert de sang, informe, méconnaissable », comment imaginer que Pégoud ait survécu et soit décédé à l’hôpital de Belfort comme il est inscrit sur la certificat de décès? Il faut se rendre à l’évidence et la presse annonce abondamment la mort de Pégoud.
Le capitaine Zarapoff fait son rapport , « Des avions ennemis ayant été signalés se dirigeant sur Belfort, le sous-lieutenant Pégoud de service, partait pour leur donner la chasse. A 9h30 il rattrape au-dessus de Cunelières (Est de Belfort) un Aviatik et l'attaque résolument. Le sous-lieutenant Pégoud suivant son habitude s'est placé en arrière, en dessous de son adversaire, il tire une bande de mitrailleuse et s'apprête à mettre en place une deuxième quand il reçoit une balle qui le traversant de part en part l'atteint mortellement. L'avion privé de direction tombe verticalement sur le sol où il s'écrase. De l'enquête faite auprès des témoins de l'évènement il résulte: 1- que l'avion allemand est du type "Aviatik" d'une très grande envergure. 2- que cet avion semble avoir ralenti sa marche pour attendre l'attaque. 3- que cet avion paraissait très fortement armé en raison du nombre considérable de cartouches tirées par sa ou ses mitrailleuses. En résumé le type d'avions dont il s'agit réaliserait un appareil de grande surface portante, de vitesse ordinaire portant un pilote, 2 observateurs, armés de 2 mitrailleuses et vraisemblablement blindé en partie. C'est du moins ce qui expliquerait la façon dont cet avion a attendu et supporté l'attaque d'un pilote expérimenté et adroit tireur comme le sous-lieutenant Pégoud. »
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Unteroffizier Walter Kandulski, pilote de l'Aviatik
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« 3 septembre. Les obsèques du sous-lieutenant aviateur Pégoud ont revêtu le caractère d'une véritable manifestation nationale. On peut évaluer à au moins 5 à 6.000 personnes la foule qui s'était massée sur les trottoirs depuis l'hôpital militaire jusque sur le pont et au faubourg des Ancêtres. C'est que Pégoud était depuis longtemps l'idole du public belfortain toujours avide de le voir, avant la guerre, faire ses spirales et sa boucle dans les airs. C'était un vaillant, un des plus vaillants parmi nos aviateurs. Nos ennemis le redoutaient si fort qu'ils avaient mis sa tête à prix. 40.000 marks étaient promis à celui qui l'atteindrait et le ferait tomber. Attaqué par deux avions allemands blindés et munis chacun, dit-on, de trois mitrailleuses, il n'avait à leur opposer que la sienne qu'il mettait en action tout en dirigeant son appareil. La lutte était trop inégale, il a succombé glorieusement. »
L’escadrille s’organise pour un dernier hommage. Funérailles du lieutenant Pégoud. Tout le personnel en capote, ceinturon, sans arme. Rassemblement à 8h1/4 devant le bureau avec : tracteur 1: conducteur Brun tracteur 3: conducteur Kundolf tracteur 4: conducteur Lavigne tracteur 7: conducteur Sauholt Viendront seuls en armes: Caporal Stocki. Soldats Gufrroy, Zallet, Cambon, Médaud, Coupière, Chorier, Lambert, Delfolie. Formation du cortège à Belfort: Le personnel portera les couronnes en tête. Encadreront le corps: Les officiers et pilotes de l'escadrille, le caporal Stocki et les 8 hommes en armes (L'arme sous le bras droit). Suivront le corps: 1° le mécanicien Valentin portant le coussin des décorations 2° le capitaine et la famille 3° les sous-officiers et le restant du personnel de l'escadrille. » L’absence de Lerendu, le 1er mécanicien qui suivait Pégoud depuis ses exploits civils, est notable, mais il était en permission. C’est donc le second mécanicien, Valentin qui aura l’honneur d’ouvrir le cortège. Les autorités militaires et civiles rendent un dernier hommage comme le fait M. Henry Deutsch de la Meurthe, président de l'Aéro-Club de France. Mesdames, Messieurs, « Je suis accouru au nom de tous nos camarades de l'Aéro-Club de France, je dirai même au nom de l'Aviation Française, rendre un dernier hommage à Pégoud, au vaillant Gaulois par excellence, qui, après avoir émerveillé l'Univers vient de tomber en soldat, victime glorieuse du terrible duel aérien que vous savez. Il est dit que cette effroyable guerre que nous n'avons pas voulue, mais qui nous a été si brutalement imposée, nous enlèverait ceux pour lesquels nos ennemis eux-mêmes avaient le plus d'admiration. Sort cruel qui détruit ce que nous avions de plus beau à vivre Abominable incohérence des hommes et des choses qui transforme les progrès de l'humanité en instruments de destruction et de mort. Vous savez tous ce que Pégoud a fait. Aucun être de la création, aucun oiseau du ciel n'a jamais pu accomplir ce que Pégoud a été le premier à tenter et à exécuter avec un courage et une témérité héroïques. Voler les ailes renversées! Pégoud a pour ainsi dire réalisé la huitième merveille du monde. Et c'est ce vaillant pionnier de l'air qui vient d'être frappé, c'est ce coeur, symbole de courage et de volonté qui vient d'être transpercé par la balle ennemie. Tant d'intelligente audace, tant de conception géniale viennent d'être anéanties ! D'autres aussi vaillants que lui sont tombés déjà au champ d'honneur. Nous les saluons et les pleurons encore, mais nulle victime de-cette impitoyable guerre n'aura été plus intéressante et n'aura mieux distingué le caractère français que ce héros dont nous déplorons la perte. C'est donc le coeur rempli de tristesse que je viens lui rendre un suprême et solennel hommage. Nous recueillerons pieusement ses ailes brisées, et nous en forgerons de nouvelles pour les vaillants soldats de l'air, ses frères, impatients déjà de le venger. C'est dans cet espoir et dans celui de la victoire certaine que je salue une dernière fois la dépouille de l'illustre héros. Gloire à lui, gloire à tous ceux qui ont combattu ou vont combattre dans le ciel qui nous éclaire, pour la défense de la Patrie. Adieu Pégoud, au nom de tous vos camarades de l'Aéro-Club. Adieu au nom de cette Académie des sports qui naguère vous avait décerné sa plus haute récompense. Puisque cette noble terre de Belfort va vous recueillir, adieu au nom de ses enfants au nombre desquels je suis fier d'appartenir par mon origine maternelle. Je redirai pour vous leur fameuse devise: « Les Enfants de la Pierre La Miotte auront bien du mal, mais ne périront jamais ». Votre souvenir sera impérissable et votre nom immortel ». A l’aviateur Pégoud Les vainqueurs de Pégoud marquent l’enterrement à leur manière. 6 septembre. |
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« ... On m'a dit qu'un avion allemand avait survolé hier ou avant hier l'endroit où Pégoud avait été abattu et qu'il y avait laissé tomber une couronne portant ces mots: " A Pégoud, son vainqueur ". Cette couronne a été mise sur la tombe du défunt. »
10 septembre. « La tombe de Pégoud a été tous ces jours derniers un véritable lieu de pèlerinage, surtout depuis qu'on y avait déposé la couronne des aviateurs allemands; on m'a raconté que l'autorité militaire avait du la faire entourer d'une barrière et mettre un factionnaire pour empêcher que toutes les couronnes offertes soient détériorées. Cela n'a pas empêché nombre de personnes de s'acharner à prendre qui, un brin de mousse, qui une feuille de laurier à la couronne allemande. On me dit à l'instant qu'on a été obligé de l'enlever pour empêcher sa disparition définitive. »
Le dernier hommage est donné par le capitaine Zarapoff « Le capitaine adresse au nom de toute l’escadrille un Adieu affectueux au sous-lieutenant Pégoud blessé mortellement dans un combat contre un avion allemand. Notre brave camarade tombe victime de son courage et de son audace, il restera dans notre souvenir comme le modèle des vertus que la France demande à ses Enfants. Que chacun puise dans le sacrifice que nous venons de faire l’énergie nécessaire aux efforts qu’il reste à fournir pour le succès des idées que nous défendons. Le sous-lieutenant Pégoud est mort Chevalier de la Légion d’Honneur, juste récompense de ses services rendus et du courage dont il avait fait preuve dans le combat du 28 août 1915 ».

Une des dernières photographies de Célestin Adolphe Pégoud à Belfort, lors de la fête du 235e RI le 21 Août 1915 à l'occasion de laquelle des hommes du 4e Régiment de tirailleurs se sont joint aux hommes du 235e RI. Pégoud y participe avec son éternel sourire et son appareil photo.
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A la mémoire de Pégoud.
(15 septembre 1915 Journal Excelsior) C'est sur quatre points que, très probablement, sera placé le souvenir du glorieux aviateur Pégoud, tué à l'ennemi. D'abord en Alsace au lieu même de sa malheureuse chute. On espère que le Souvenir Français se chargera de placer une pierre très simple rappelant l'héroïsme de Pégoud. Ensuite, à Montferrat, localité où Pégoud vit le jour. C'est la municipalité de cette ville et d'accord probablement avec l'Aéro Club régional, qu'il conviendra de prendre les dispositions nécessaires. Enfin, à Paris, d'une part dans la capitale où le conseil municipal accordera un emplacement et, d'autre part, au cimetière où les restes de Pégoud seront définitivement inhumés. Pour ces deux derniers monuments, on compte sur la Ville de Paris et l'Aéro Club en ce qui concerne le monument de Paris et sur la souscription publique pour ce qui a trait au monument de la Nécropole.
Des quatre monuments, trois seront édifiés. Le 23 septembre 1917, sur l’emplacement même où Pégoud s’est écrasé est inauguré un monument qui sera ensuite transféré au centre du village de Petit-Croix.
A Montferrat, il faudra attendre le 30 juillet 1922 pour que soit érigé le « Monument aux morts et à la gloire de Pégoud » dans une journée aux accents festifs. Pavoisement, bal, carrousel, feu d’artifice, banquet… Pourtant une souscription avait été ouverte en 1915 à l'initiative du député Rajon.
23 septembre 1915 L'auto
Au conseil général de l'Isère, sur la demande de M. Rajon, député, tendant à la constitution d'un comité de souscription pour l'érection à Montferrat d'un monument à Pégoud, le préfet a proposé de voter une subvention départementale de 1 000 francs. La proposition a été accueillie par acclamations unanimes.
Initiative reprise par l'Association du personnel navigant de l'Isère mais qui ne réunir pas les fonds nécessaires.
12 décembre 1920-Auto-vélo
La matinée organisée pour le monument Pégoud par l'Association du Personnel navigant, a obtenu un plein succès. M. le préfet de l'Isère, présidait, ayant à ses côtés le général Barret, commandant la 27e subdivision, le capitaine Vercherin, représentant le sous-secrétaire d'Etat; M. Blanc, M. Barbillon, etc.
M. Roger Melfrey retrace la vie de Pégoud. Le préfet de l'Isère glorifia l'aviation et ses pionniers.
Le bénéfice de cette matinée se monte à 1 200 francs.
29 octobre 1920-Miroir des sports Une foule, qu'on évalue à cent mille personnes environ, a rendu hommage, de Notre-Dame au cimetière du Montparnasse, à la dépouille du regretté Pégoud, qu'on avait ramenée de Belfort. Le peuple de Paris a salué en Pégoud le grand aviateur français, qui, le premier, a osé se livrer à des exercices de voltige aérienne, tels que le looping, la glissade sur l'aile, le renversement, qui ont rendu pendant la guerre, des services si éminents. Pégoud a été, de plus, le premier chasseur de l'air, et il a mis brillamment au service de sa patrie, ses qualités incomparables de pilote. Toutes les personnalités du monde sportif ont assisté au transfert du corps de Pégoud, de Notre-Dame au cimetière. MM. Flandin, sous-secrétaire d'Etat à l'Aéronautique, le comte de la Vaux, vice-président à l'Aéronautique de l'Aéro-Club de France; Henri Desgrange, directeur de l'Auto, et le capitaine Pinsard, un des as de la guerre, ont prononcé sur la tombe des discours émus.
"On n'a pas assez remarqué dans la foule qui était venue aux obsèques de Pégoud, l'hommage de ce prêtre, l'abbé Drouot, venu exprès de Saint-Mihiel.
C'est que l'abbé Drouot avait eu, lorsqu'il était à Montferrat, le petit Pégoud comme enfant de coeur et qu'il en avait conservé un souvenir charmant. Et l'abbé Drouot n'était pas le moins ému."
Sur une de faces du monument financé par une souscription nationale est gravé cet hommage de Védrines: « Avant Pégoud nous ne savions pas voler »…
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