Après avoir provoqué dans le monde des constructeurs et dans l’opinion publique une certaine agitation, la question de l’aéronautique militaire était venue devant le Sénat où elle donnait lieu la semaine dernière à un grand débat. M. Reymond, sénateur de la Loire prit la parole.
Après son discours réquisitoire et les observations successives de quelques sénateurs, on attendait impatiemment la réponse du ministre de la guerre, nous la publions in extenso.
Discours du ministre de la guerre
[Ministre de la Guerre du 9 décembre 1913 au 9 juin 1914 dans le gouvernement Gaston Doumergue. Biographie ICI]
M. Noulens, Ministre de la guerre. -Messieurs vous devinez combien est difficile ma tâche. Appelé depuis peu de temps au Ministère de la guerre, j’ai à m’expliquer devant vous sur des fait s antérieurs à mon arrivée
Le comte de Treveneuc -C’est toujours comme ça
M. Fabien Cesbron -Si le gouvernement ne changeait pas si souvent (murmures à gauche –Laissez parler)
M. le Ministre -J’ai à discuter des chiffres et des questions techniques avec l’homme particulièrement compétent qu’est M. le sénateur Reymond., et j’ai en même temps à répondre aux interventions, qui pour n’avoir pas eu la même portée générale que celle dont je viens de parler, n’ont pas été plus favorable qu’elle à l’aéronautique. Je fais allusion à Mm Cazeneuve, Poulle, Hervey et MaximeLecomte.
Le meilleur moyen pour moi de résoudre des difficultés, en dehors de ce que je devrais à votre bienveillance, c’est de m’exprimer en toute franchise (Très bien très bien).
Je ne prendrai la défense que des hommes et des actes qui peuvent être défendus, car je ne comprends pas mon rôle avec un parti pris de justification des erreurs ou des fautes commises. (Approbations).
Toute considération de personne doit s’effacer devant l’intérêt supérieur du pays et devant la nécessité de tracer pour l’avenir, à la lumière des enseignements du passé, le devoir de chacun. (Nouvelles marques d’approbation).
Je reprendrais les points qu’a abordé l’honorable M. Reymond dans sa discussion, mais je ne bornerai pas ma réponse à des explications. C’est surtout par des actes que je compte répondre ultérieurement aux observations qui ont été apportées à cette tribune.
L’aéronautique n’a pas échappé à la loi communes des créations nouvelles : tâtonnements, erreurs, doutes, lui ont valu, dès le début, de nombreuses critiques, les unes justifiées, les autres inexactes, d’autres enfin exagérées.
Mais ce qu’il ne faut pas oublier pour rendre un jugement équitable, c’est la difficulté en présence de laquelle on se trouvait dès l’origine de créer, sans précédent d’aucune sorte, une organisation nouvelle pour une arme dont l’évolution était si rapide que certains projets étaient là peine conçus que déjà il n’était plus temps de les exécuter, à cause des progrès réalisés.
M. Gaudin de Villaine -Pourtant l’Allemagne a résolu ce problème
M. le Ministre -Et puis dans la fièvre des inventions qui se succédaient, devant les prodiges accomplis par les aviateurs, on crut un peu partout que l’héroïsme dépensé sans compter pouvait suppléer à tout, et ainsi on a oublié que même dans un ordre des choses où les qualités de courage et d’audace dominent les résultats, ceux-ci ne peuvent être vraiment définitifs et durables qu’avec de l’ordre, de la méthode et de la discipline.
Quelles que soient les fautes et les erreurs commises, -et tout à l’heure je les reconnaîtrai loyalement-, un effort considérable a été accompli.
Il a donné d’incontestables résultats qui je l’avoue pourraient être plus caractérisés si l’utilisation des bons vouloirs avait été meilleure. Mais tels qu’ils sont ils justifient l’hommage que je veux rendre aux officiers et au personnel subalterne qui, sans avoir toujours été encouragés comme ils auraient du l’être, ont fait, en général, leur devoir et ont été les premiers ouvriers de l’aviation militaire.
Les erreurs du début
Messieurs il faut reconnaître qu els services de l’aviation militaire semblent s’être constitués au fur et à mesure sans organisation déterminée d’avance et sans plan d’ensemble. L’inspection permanente de l’aéronautique, dépourvue de moyens d’exécution propre, obligée de passer par l’intermédiaire d’autres services pour réaliser ses conceptions, absorbée dans ses pouvoirs et dans son action par la commission supérieure d’aéronautique qui, au lieu d’être un corps purement consultatif, avait en fait un pouvoir propre de décision, l’inspection permanente de l’aéronautique n’a jamais eu une véritable et effective responsabilité.
M. Reymond -C’est vrai, très bien
Le ministre Aujourd’hui la situation a changé. La Direction de l’aéronautique a été constituée récemment : elle relève d’un directeur qui centralise tous les pouvoirs d’exécution et à qui appartient l’initiative des propositions soumises à l’approbation du ministre. Celui-ci,. Toujours responsable devant vous, a au moins devant lui un directeur, un chef de service responsable ; tandis qu’auparavant, comme je vous l’ai dit, la responsabilité était si dispersée et si émiettée qu’elle n’existait pour personne.
Une autre cause de difficultés a été la pénurie d’officiers mis à la disposition de l’aéronautique. A ceux qui étaient venus dans l’arme nouvelle pour naviguer à travers l’espace, pour faire preuve d’audace et d’entrain, on demandait de remplir des fonctions d’administration ou de commandement pour lesquels ils n’avaient ni goût ni loisirs.
Comment s’étonner dès lors que les différents centres d’aviation aient , en général, été mal administrés, que les deniers publics n’aient pas été utilement employés, et qu’en même temps, malgré l’imperfection de l’œuvre administrative qu’ils accomplissaient, ces officiers n’aient pas pu se perfectionner dans la pratique de l’aviation, comme ils auraient du le faire ? Leur activité avait en effet été détournée de leurs occupations normales.
Autre défaut d’organisation : on avait concentré dans un seul établissement, celui de Chalais-Meudon, toutes les questions relatives à la commande, à la surveillance, à la réception des appareils et à leur répartition entre tous les centres d’aviation.
Cette centralisation excessive ne pouvait que paralyser l’activité et le développement de chaque centre, en même temps que comme l’ensemble de l’organisation, elle faisait disparaître les responsabilités.
Les centres d’aviation n’avaient aucunement à se prononcer sur le choix des appareils, et pourtant plus d’une fois il se sont plaints de ceux qu’on leur envoyait et qui ne répondaient ni à leurs désirs, ni à leurs besoins.
Enfin comme l’a dit l’honorable M. Reymond, une autre erreur a consisté à vouloir faire un ensemble unique de deux éléments dissemblables : l’aérostation et l’aviation qui n’utilisent pas les mêmes engins et dont le personnel n’a as à faire preuve des mêmes qualités pou remplir les missions susceptibles de lui être confiées.
Confondus dans un même service au lieu d’avoir chacune une vie propre l’aérostation et l’aviation devaient, à un moment donné, entrer en rivalité au point de vue du développement que le service compétent avait le devoir de donner à l’une et à l’autre. C’est ainsi que l’aérostation a été sacrifiée pendant les deux ou trois dernières années et que notre flotte de dirigeables n’est pas aujourd’hui ce qu’elle devrait être. Cette flotte de dirigeable ne comprendrait même pas encore un seul ballon rigide, alors que l’Allemagne en compte un certain nombre, comme vous le savez, si nous ne devions à la libéralité d’un particulier l’unique dirigeable que nous possédons.
L’aviation et l’aérostation sont désormais séparées, chacune aura sa vie propre et son indépendance, mais il faut une organisation complémentaire pour bien utiliser les aptitudes et les bonnes volontés.
L’organisation du Commandement
Tout d’abord il faut organiser el commandement. Les faits signalés par M. Reymond montrent que parfois il y a eu désaccord entre les services. Des soldats ont été retenus dans les régiments, alors qu’ils devaient être dirigés sur les centres d’aviation. Il y a pu y avoir, dans certains cas, des partis pris sur lesquels je ne veux pas insister. Mais dans la plupart de cas la faute incombe moins aux hommes, moins aux officiers qu’au fait que les règlements n’avaient pas été modifiés pour s’adapter à l’arme nouvelle.
C’est donc les règlements qu’il faut approprier sans tarder aux exigences de l’aéronautique, et c’est à cela que nous nous emploierons tout d’abord. Il faut aussi, comme l’a mis en relief M. Reymond, organiser un cadre permanent d’officiers. Sans doute il y aura toujours des officiers qui ne feront qui traverser le service d’aviation ; ils rentreront dans leurs armes pour y poursuivre leur carrière. Mais à coté de ces officiers qui feront un stage dans l’aviation, il faut qu’il y ait un cadre permanent d’officiers qui maintiendront dans le service d’aviation la continuité de vues et à, à tous les degrés, devront faire montre d’une compétence indiscutable.
L’organisation que je conçois et que je me propose de mettre en œuvre est celle qui existe déjà, par exemple, pour les établissements de l’artillerie où nous voyons, à coté d’officiers qui séjournent peu de temps dan ces établissements, d’autres officiers qui se consacrent exclusivement au perfectionnement de notre matériel de guerre et qui renoncent par là même à atteindre les grades d’officiers généraux. Ils s’arrêtent dans leur avancement au grade de colonel.
Cette spécialisation qui existe ainsi pour les officiers des établissements de l’artillerie, doit pouvoir également être exigée pour l’aviation ; je me propose donc par des mesures appropriées, d’étendre le système appliqué dans les établissements d’artillerie à l’ensemble du service de l’aéronautique.
Bien entendu messieurs, l’avancement se fera dans l’arme pour les officiers qui appartiendront au service de l’aviation d’une façon permanente.
Pour ceux, au contraire, qui feront un simple stage dans le service, on pourra pendant la période actuelle qui a un caractère transitoire, compter comme années de troupe le temps qu’ils auront passé dans le service. C’est à cela que tend un projet qui est déposé actuellement devant la Chambre des Députés et qui, à titre provisoire, prévoit que les trois années d’aviation compteront comme temps de troupe aux officiers rappelés ensuite dans leur arme.
Le recrutement des mécaniciens
L’honorable M. Reymond nous parlé du recrutement des mécaniciens et des soldats aviateurs. Il a dit avec raison que les mécaniciens ont un rôle capital dans l’organisation de l’aviation, qu’ils sont attachés à leur pilote et que, par conséquent, on devait avoir autant des mécaniciens que de pilotes.
Tout de suite, je voudrais faire une observation. Sans doute nous devons fournir aux officiers des mécaniciens : mais il est également indispensable aux les officiers soient préparés et soient eux-mêmes des mécaniciens.
On l’a si bien compris qu’au mois de novembre 1913 le directeur de l’aéronautique a envoyé des ordres, afin de prescrire que dormais avant de commencer leur instruction comme aviateur, les pilotes soient astreints à faire des études de mécanicien.
Voici en quels termes s’exprimait le Directeur de l’aéronautique :
« Des accidents graves peuvent en effet provenir du fait que les aviateurs, même quand ils sont devenus des conducteurs d’avuions très habiles ne connaissent pas suffisamment les conditions théoriques et pratiques d’établissement et de fonctionnement des appareils et des moteurs. Ces connaissances ne peuvent s’obtenir par la seule pratique du vol ; elles se développent au contraire après qu’elles ont été acquises au cours des études préalables. »
Et plus loin il organisait ces études préalables de la manière suivante :
« Je prescris en conséquence que le stage préparatoire, prévu dès maintenant, aura une durée de deux mois et qu’il sera imposé à tous les élèves désignés. Tous les efforts des instructeurs devront tendre à former des pilotes et non des conducteurs d’avions »
Cela dit je reconnais que le nombre des mécaniciens est insuffisant et doit être augmenté.
On parle de l’absence de méthode dans le recrutement ainsi que du rôle que joueraient les recommandations. M. Reymond me permettra de dire qu’il y a dans cette affirmation quelque exagération. Au contraire les conditions du recrutement des soldats aviateurs ont été réglées d’une manière précise.
Les commandants de recrutement sont du reste tout à fait étrangers aux fautes qui auraient être commises à cet égard, car il ne leur appartient pas de se prononcer sur l’affectation de ceux qui demandent à être incorporés dans les escadrilles.
M. Gaudin de Villaine -C’est l’affaire du commandement
Le ministre -Ces incorporations résultent en effet d’un examen pratique subi sur la demande des intéressés devant des officiers aviateurs ou aéronautes, examen suivi d’un classement que l’on observe rigoureusement.
C’est ainsi qu’en 1912, 420 hommes du service armé ont été incorporés, tous après un examen dans lequel ils ont obtenu une note au moins égale à 16, et qu’en 1913, sur 650 hommes, 520 ont subi l’examen et ont été incorporés avec la moyenne de 18.
M. Reymond a fait allusion à des soldats qui, bien qu’ayant toutes les qualités requises pour faire des pilotes, auraient été affectés aux cuisines. Cette allégation renferme une part de vérité.
L’un de ces soldats, qui avait rempli les fonctions de cycliste à Reims et qui était breveté de l’Aéro-club a demandé en effet à être admis comme aviateur. On a repoussé sa demande à raison de sa conduite et de sa manière de servir. Il ne réunissait donc pas l’ensemble de conditions nécessaires pour être aviateur militaire. S’il est vrai que, pendant huit jours, il a fait l’office d’aide-cuisinier, ce n’est pas là la raison qui a empêché de l’admettre comme aviateur.
M. Emile Reymond -Ce n’est pas moi qui ai cité le cas du soldat que vous venez de parler monsieur le ministre.
Le ministre -C’est vous-même qui m’avez communiqué tous les noms que je possède.
M. Emile Reymond –Vous faites erreur ! Je n’ai pas parlé d’aviateur devenu cuisinier, j’en suis certain.
Le ministre -Si ce n’est pas vous qui en avez parlé, c’est peut-être M. Poulle, je m’excuse d’avoir cité votre nom.
M. Emile Reymond –Je suis trop sur des faits que j’ai cité.
Le ministre -Un autre soldat est arrivé à la 3° Compagnie d’aviation le 6 novembre 1912 ; il a été détaché au personnel navigant le 26 février 1913 à Douai, il est ensuite allé à l’école du camp de Châlons , et a été affecté par décision ministérielle à l’école Caudron au Crotoy. Il a obtenu un brevet militaire sur Sommer le 23 septembre 1913. Ce qu’il y a de vrai, c’est qu’en janvier 1913, bien avant le moment où il a été pourvu du brevet militaire, il avait momentanément remplacé un aide-cuisinier.
Enfin on a cité un autre cas : celui du mécanicien d’un aviateur très connu. –Je crois que c’est vous M. Reymond.
M. Emile Reymond –Non ! non ! ce n’est pas moi M. le ministre
Le ministre –Peu importe au surplus. Ce mécanicien avait été primitivement désigné pour une escadrille le 20 décembre 1913 ; il a été, sur sa demande, et après vérification de ses aptitudes affecté momentanément, -et je le répète sur sa demande- au service des frais de route du détachement de Saint-Cyr , à la date du 15 janvier 1914, mais on considère que ce n’est là qu’une affectation momentanée et que, conformément au désir exprimé par lui, ce militaire sera affecté à une escadrille dès que cela sera possible.
En résumé, en ce qui concerne les incorporations, des mesures ont été prises par le directeur actuel de l’aéronautique, craignant qu’à raison de la rapidité avec laquelle la classe 1913 avait été convoquée on ne puisse connaître tous les jeunes aviateurs, le général Bernard s’est renseigné auprès de tous les constructeurs et d’après les informations qui lui ont été communiquées, il a avisé les commandants de recrutement assurant ainsi l’affectation de ces soldats aux escadrilles dans la mesure où leurs services pourraient être utilisés.
Des mesures doivent être prises, je le reconnais, pour faciliter l’affectation des mécaniciens et des soldats aux centres d’aviation. Soyez persuadés que le nécessaire sera fait pour assurer au service de l’aviation le concours de toutes les compétences.
Il y a mieux. Il faut qu’à tous les degrés de la hiérarchie, les autorités militaires de toutes les armes fassent preuve d’une collaboration mutuelle (Très bien très bien). Il faut que chacune d’elle ne se préoccupe pas seulement des questions qui peuvent intéresser telle ou telle arme, tel ou tel corps, mais que dans l’intérêt supérieur de la défense nationale il y ait accord, coordination des efforts.
M. le comte de Treveneuc –Pour cela il nous faudrait un commandement. C’est cela qui nous manque.
Le ministre –Nous croyons en principe au bon vouloir de tous, mais s’il faut faire plier des volontés, briser des résistances qui, pour des considérations personnelle ou des susceptibilités d’amour-propre compromettraient l’intérêt général nous saurons faire preuve de la fermeté nécessaire. (Très bien, très bien).
M. Gaudin de Villaine –C’est une terrible critique du passé.
Nécessité d’une section technique
Le ministre –Une réforme qui s’impose est la décongestion de cet organe central de Chalais-Meudon.
Déjà les attributions de cet établissement seront divisées par la séparation de l’aviation et de l’aéronautique ; mais de plus il faut décentraliser. Un seul établissement ne peut pourvoir tous les centres d’aviation d’une façon rapide et appropriée à tous les besoins.
Néanmoins il faut que nous ayons au ministère, au centre du service, un ensemble d’organisations qui nous permettent de contrôler et de vérifier tous les centres d’aviation ; il faut que nous ayons sans doute, là où les appareils sont reçus, des officiers techniciens qui le vérifient, mais il nous faut aussi les concours d’autres officiers techniciens, sans cesse détachés, inspectant les différents centres et s’assurant de l’état du matériel en service.
Nous croyons aussi qu’il est nécessaire de créer une section technique de l’aviation semblable à celle qui existe pour toutes les autres armes.
M. Reymond ne paraît pas très favorable à cette idée, lorsque je lui aurai donné les précisions nécessaires, il admettra très bien, je crois, la nécessité de cette création.
Nous ne prétendons pas évincer les constructeurs. Au contraire nous reconnaissons tous les services qu’ils peuvent rendre à l’aviation, et nous comptons sur leur concours. Mais nous croyons qu’une section technique est nécessaire pour contrôler, pour étudier, concurrement avec les entreprises privées Nous avons du reste un exemple de l’utilité d’un tel organisme dans la section technique de l’artillerie, qui a rendu tant de services, et a permis perfectionner notre matériel avec une réelle économie si l’on considère ce que nous aurions du payer en nous adressant exclusivement à l’industrie privée.
Nous ne prétendons pas développer cette section technique au point de fabriquer nous-mêmes, nous voulons seulement qu’elle nous permette d’étudier les perfectionnements dont les appareils sont susceptibles ; cela ne nous empêchera pas d’accueillir tous les concours et d’accepter toutes les améliorations que l’industrie privée pourrait nous suggérer.
Nous ne voulons à aucun prix décourager les constructeurs, nus ne voulons pas les priver de travail ; mais cette concurrence qui s’établira entre eux et les établissements de l’Etat ; pour l’étude de projets, et non pour la fabrication de appareils, ne peut être que profitable au bien du service. M. Reymond s’est montré un peu sévère, qu’il me permette de le lui dire, pour les officiers d’administration employés dans l’aéronautique. Je reconnais que trop souvent nos centres d’aviations ont été mal administrés, mais là encore il faut se demander si c’était la faute des officiers détachés dans les centres. Une période d’initiation était nécessaire à ces officiers d’administration, car les opérations de comptabilité auxquelles ils avaient à se livrer dans l’arme nouvelle où l’on venait de les verser étaient toutes différentes de celles de l’artillerie ou du génie. La vérité, c’est qu’il aurait fallu modifier les règlements existants. Les règlements de comptabilité, les règlements administratifs relatifs à l’aviation n’ont pas été faits. Leur élaboration se poursuit actuellement et leur publication est prochaine. N’est-il pas ainsi permis de penser que les officiers d’administration ont été moins coupables qu’on ne le croit ?
Il y a dans l’ensemble du service, par exemple, un défaut de prévoyance que je suis obligé de reconnaître, mais le remède y sera apporté à très bref délai.
J’arrive, messieurs, à la question du recrutement des pilotes, du brevet et des épreuves.
Le recrutement des pilotes.
Je tiens à fixer immédiatement le Sénat sur le chiffre des pilotes militaires : le nombre des pilotes appartenant à l’armée active est à l’heure actuelle de 330. De ces 330 pilotes, les uns ont déjà obtenus antérieurement leur brevet de pilote militaire et ont depuis lors subi tous les six mois de nouvelles épreuves ainsi qu’ils en ont l’obligation ; les autres ont acquis ce brevet dans le dernier semestre de 1913. Il n’y a parmi eux aucun de ces pilotes fatigués ou honoraires qui ne naviguent plus. A ce chiffre il faut ajouter 130 élèves militaires répartis dans les différentes écoles et dont un certain nombre passeront leur brevet militaire incessamment. Dans ces effectifs il y a 180 officiers.
M. Reymond signalait la décroissance du nombre des officiers qui demandent à entrer dans l’aviation. Le fait est exact mais on peut constater par le résultat des examens, que les officiers qui postulent aujourd’hui ont plus de qualité, sont mieux préparés, ont des aptitudes supérieures à celles de leurs camarades. Au début il convenait que les officiers donnassent l’exemple du courage ; il était inutile qu’ils payassent de leur personne. Mais aujourd’hui on peut considérer comme souhaitable que des soldats et des sous-officiers peu à peu remplacent pour une large part les officiers en tant que pilote : Les officiers auront les rôles d’observateurs.
De plus les officiers qui entrent maintenant dans cette carrière sont, en général, plus jeunes que ne l’étaient leurs devanciers. Par la même le recrutement est meilleur. Il a paru nécessaire de leur appliquer, à cet égard, une règle qu’a fixé M. Messimy et qu’aucun de ses successeurs n’a enfreinte ; elle consiste à n’admettre dans les écoles d’aviation que les officiers ayant accompli deux ans de grade, au moins, dans un corps de troupe.
Il est indispensable, étant donné qu’il s’agit d’officier, qu’à la sortie de l’école ils aient fait, dans un régiment, un stage qui leur donne les qualités de l’officier. Il est évident que si ces candidats pilotes ont la vocation, ce ne sont pas ces deux ans passées dans un régiment qui les feront renoncer à leur carrière de leur choix.
J’ajoute que pour les officiers qui devront faire leur carrière dans l’aviation, il serra utile d’avoir fait un stage limité de deux ans, par exemple, dans un corps de troupe, afin de ne pas être entièrement étranger aux armes qu’ils auront à servir dans l’aviation.
D’ailleurs je tiens à exposer au Sénat le mode de recrutement actuellement en vigueur. Pour les officiers. Sous-officiers, soldats, on fait appel à toutes les bonnes volontés sans restriction. Toutes les demandes sont obligatoirement instruites par les chefs de corps et transmis au ministère qui doit statuer sur l’admission de ces demandes après enquête.
Une fois désignés, les élèves- pilotes font un stage de deux mois sans voler, comme je l’ai indiqué tout à l’heure afin d’être initié aux mécanismes de leur appareil. On leur donne toutes les connaissances techniques et pratiques nécessaires à la conduite des appareils et des moteurs.
Pendant ces deux mois, ces officiers vivent dans une école d’aviation, dans un milieu d’aviateurs qui les prépare à leurt futur métier de pilote.
Après ce stage, qui donne lieu à ne première sélection, deux autres périodes de stage ont également été prévues. Pour accomplir la première, il est nécessaire qu’ils aient d’abord leur brevet de l’Aéro Club. On exige qu’ils puissent voler pendant une heure sur aérodrome.
Lorsque ce premier stade a été parcouru, le candidat est autorisé à voler sur la campagne voisine jusqu’au moment où il sera en mesure de triompher des épreuves militaires.
L’obtention de ce titre implique les obligations suivantes :1° Avoir effectué un vol plané d’une hauteur de 500 mètres en atterrissant à moins de 100 mètres d’un endroit désigné d’avance sans remettre le moteur en marche en vol plané. 2° Avoir effectué un vol de 150 kilomètres en ligne droite sans escale ; 3° Avoir exécuté un voyage de 200 kilomètres en circuit fermé avec deux escales obligatoires indiquées à l’avance en moins de 48 heures consécutives ; aucun des cotés du triangle ainsi formé ne doit être inférieur à 20 kilomètres ; 4° Au cours d’un de ces voyages ou dans une épreuve spéciale si le temps ne l’a pas permis, le pilote doit des maintenir à une hauteur constante de 1000 mètres pendant une heure au moins.
Vous voyez combien ces épreuves sont sévères et difficiles. Vous sentez combien elles sont plus rigoureuses que celles que elles exigées pur la délivrance du brevet de l’Aéro-Club qui comporte simplement deux épreuves de distance consistant chacune à parcourir sans contact avec le sol ou avec l’eau un circuit fermé représentant la distance minimum de 5 kilomètres : deuxièmement une épreuve de hauteur consistant à s’élever à une hauteur maximum de 100 mètres au dessus du point de départ, la descente devant s’effectuer en vol plané.
Aussi ne pouvons nous attribuer à ce brevet de l’Aéro-club qu’une valeur relative.
C’est ainsi que les jeunes gens détenteur du brevet militaire peuvent être incorporés de droit dans l’aviation dès leur arrivée au régiment, s’y engage pour trois ans à toute époque de l’année et enfin reprendre leur entraînement quatre mois après leur arrivée au corps; tandis que l’entrée dans l’aviation des détenteurs du brevet de l’Aéro-Club est subordonnées, lors de l’incorporation, à un examen d’aptitude professionnel.
Nous sommes arrivés à cette réglementation à laquelle il convient de tenir la main, à la suite de constatations comme celle-ci : en février 1912, un certain nombre de jeunes gens pourvus du brevet de l’Aéroclub ont été incorporés dans diverses armes. Or après que ces recrues eurent séjourné dans les centres d’aviation, il a du en être éliminé un quart.
J’en viens à l’instruction donnée au élèves-pilotes ; elle est actuellement assurée par des chefs pilotes militaires sous la direction des commandants d’école militaire.
Ces commandants d’école sont pilotes eux-mêmes et ce sont les inspecteurs attachés à l’aéronautique qui ont la haute main sur cet enseignement.
Les chefs pilotes et les commandants d’école font connaître les candidats qui ne paraissent pas avoir les aptitudes nécessaires pour passer d’un stade à l’autre ; de ce fait une première élimination rigoureuse s’effectue au cours de l’instruction. La sélection s’opère ensuite grâce aux épreuves auxquelles sont soumis dans chaque stade les futurs pilotes. Une circulaire de M. Millerand prescrivait qu’à chaque stade le pilote devait lui-même faire une demande écrite pour être admis à continuer son entrainement. Cette prescription ne semble pas donner des garanties aussi grandes que le système finalement adopté, et qui consiste, je le répète, dans les éliminations successives opérées par les chefs.
L’honorable M. Reymond a parlé de l’amour-propre des aviateurs qui veulent rester quand même dans l’arme alors qu’ils ont perdu la confiance nécessaire pour échapper aux périls continuels auxquels ils sont exposés. .
Que l’on prenne la formule de M. Millerand ou bien que l’on adopte le système de M. Reymond qui permettrait de renvoyer les aviateurs après un très court délai, un mois je crois… C’est bien là en effet, je pense, le système que vous préconisez M. le sénateur ?
M. Emile Reymond –Voulez-vous me permettre de vous donner à cet égard quelques précisions ?
Le ministre –Très volontiers
M. Emile Reymond –J’ai préconisé un système qui avait pour but de ne pas froisser l’amour-propre de l’officier et de faire en sorte que celui-ci, se reconnaissant lui-même inapte à continuer sa carrière dans l’aviation, put rentrer dans son corps d’origine, sans paraître renoncer à un exercice périlleux. Ce système avait d’ailleurs été admis en principe par vos prédécesseurs M. le ministre, mais il n’a jamais été appliqué. Il consistait après un certain stage à renvoyer tous les officiers dans leur corps, à attendre qu’ils fissent eux-mêmes une demande et à choisir ensuite parmi les auteurs des demandes ceux que l’on voudrait conserver dans l’aviation. On ne saurait donc pas lorsqu’un officier resterait dans son corps, s’il n’avait pas voulu demander à rentrer dans l’aviation, ou bien si le ministre n’avait pas voulu le reprendre, en sorte que l’amour-propre de cet officier se trouverait ainsi ménagé (Très bien sur divers bancs).
Le ministre –Il ne l’est pas autant que l’on pourrait le supposer, car justement, par cela qu’on ignorerait dans leur corps s’ils ont été renvoyés ou s’ils ont préféré rester, la plupart du temps, ces officiers demanderont à rentrer dans l’aviation, pour bien montrer que l’on n’a pas voulu se priver de leur service.
Si l’on admet que les chefs peuvent opérer un choix rigoureux, et que soucieux de leur devoir, ils renvoient impitoyablement ceux qui n’ont pas les dispositions nécessaires pour faire de bons avuateurs, on arrivera à la sélection la meilleure et la plus simple.
M. Gaudin de Villaine –Il faut surtout de bons outils car ce sont les avions qui manquent.
Le ministre –Nous avons vu comment on recrutait les pilotes parmi le personnel présent sous les drapeaux ; mais j’estime que l’Etat doit faire davantage ; Il doit favoriser la préparation aussi complète que possible, des jeunes gens appelés à venir au régiment, en les poussant à avoir leur brevet avant leur incorporation. D’autre part, nous préoccupant de la mobilisation, nous devons, par des mesures appropriées, nous assurer le concours de réservistes continuant leur entrainement dans l’aviation militaire. Nous avons l’intention-et le projet auquel je fais allusion et qui sera soumis aux Chambres est déjà préparé- d’établir un système de primes les unes destinées aux jeunes gens avant leur arrivée au régiment, les autres accordées aux réservistes qui, après avoir obtenu leur brevet militaire dans l’armée active, auront continué dans la vie civile la pratique de l’aviation. Nous espérons ainsi recruter plus facilement des aviateurs pour l’armée active et conserver, pour le jour de la mobilisation, des aviateurs expérimentés.
Les écoles d’aviation
J’arrive maintenant messieurs aux écoles d’aviation, les écoles civiles ne réunissent pas comme on pourrait le croire, tous les types d’appareils, de telle sorte que chaque aviateur puisse y trouver celui qu’il préfère.
Non. La plupart des écoles d’aviation ne sont, en quelque sorte, que l’annexe d’une fabrique d’avions, le complément d’un atelier de fabrication d’appareils d’aviation.
Nous avons créé des écoles militaires pour plusieurs raisons. Tout d’abord pour assurer, dans les rangs de nos aviateurs, l’observation d’une stricte discipline. L’autre jour M. Reymond reconnaissait que, dans les écoles civiles, par suite d’un défaut d’organisation, les officiers n’avaient pas toujours donné l’exemple de la discipline. C’est un mal auquel il fallait porter remède.
Nous avons également cherché, par la création d’écoles militaires, à unifier les méthodes d’entrainement des officiers. J’ajoute que nous nous trouvions en présence de grosses difficultés pour faire parvenir, dans les écoles civiles, les officiers jusqu’au brevet militaire : Vous avez vu combien grande était la différence entre le brevet militaire et le brevet de l’Aéro-Club.
M. Gaudin de Villaine –C’est la qualité des avions surtout qui diffère.
Le ministre –J’arriverai tout à l’heure à la question des appareils M. le sénateur.
Nous avons-vu, disais-je, quelles différences très sensibles existent entre les deux brevets ;or dans les écoles civiles, on n’était pas disposé, d’une manière générale, à pousser les pilotes de l’armée jusqu’au brevet militaire.. On n’en avait pas toujours les moyens et, dans tous les cas, on demandait au ministère de la guerre des prix tellement élevés que vraiment il semblait aussi économique, sinon plus, d’instituer des écoles militaires.
Nous ne voulons pas, en créant des écoles militaires, diminuer les avantages accordés jusqu’à ce jour aux constructeurs. Il semble bien, d’ailleurs, que ces derniers n’aient jamais attendu de ces écoles civiles des bénéfices importants. Ces écoles n’étaient en quelque sorte, comme je vous l’ai dit, que des annexes de leur établissement industriel. La suppression de la petite indemnité que les constructeurs demandaient pour entrainer les élèves jusqu’au brevet de l’Aéro-Club ne saurait leur causer un sérieux préjudice le jour où l’on enverrait directement les élèves dans les écoles militaires.
M. Hervey –Ils ont agrandi leurs écoles.
Le ministre –Ce que je tiens à dire c’est que les écoles civiles pourront subsister précisément pour préparer et entrainer les jeunes gens que nous voulons pousser vers l’aviation avant leur arrivée au régiment. Nous leur accorderons des primes telles qu’ils pourront payer les écoles privées et y acquérir un entrainement tel qu’à leur arrivée sous les drapeaux ils auront la certitude d’être incorporés dans les escadrilles d’aviation.
En même temps l’avantage que nous leur auront donné, et qui souvent sera partagé par l’école même d’aviation à laquelle le pilote sera attaché, constituera un encouragement sérieux pour els constructeurs, dont nous ne voulons à aucun point de vue réduire les bénéfices. Nous reconnaissons, en effet, tous les services qu’ils ont rendu à l’aviation, et nous voulons tantôt d’une façon directe, tantôt d’une façon indirecte, continuer à les subventionner et à les soutenir.
L’avancement
J’arrive à la question d’avancement et de commandement. Il ne faut pas croire que, dès à présent et quelle que soit la nécessité de créer sans délai un corps homogène d’aviateurs, il n’y ait d’avancement ni pour les sous-officiers, ni pour les officiers qui restent dans l’aviation.
En ce qui concerne les sous-officiers, je tiens à dire que parmi les sous-officiers qui font partie du personnel de l’aviation, 6% peuvent être nommés adjudant-chef sans quitter l’aviation ; 14% adjudants, 80% sergents. Les caporaux et soldats peuvent arriver, dans l’arme, au grade de sous-officier.
J’ajoute que les sous-officiers restant dans l’aviation peuvent devenir officiers de deux façons, soit directement, à condition d’avoir dans leur arme d’origine le brevet de chef de section, soit en passant par les différentes écoles de sous-officier.
Comme je l’ai dit les officiers par le fait même que la porte des sortie est toujours ouverte, peuvent rentrer dans leur arme. Actuellement la loi exige que tous les capitaines commandants et colonels, aient accompli deux ans de commandement effectif dans leur arme pour pouvoir être promu au grade supérieur. J’ai dit que le gouvernement avait déposé devant la Chambre un projet qui permettrait provisoirement pendant trois ans de donner de l’avancement aux officiers dans les corps d’aviation sans les renvoyer dans un corps de troupe. Bien entendu, cette disposition législative n’exclut pas l’idée que j’ai déjà exprimée d’organiser, en dehors des officiers qui ne font qu’un stage dans l’aviation, des cadres permanents. Les officiers appartenant à ces cadres recevront leur avancement exclusivement dans l’aviation.
L’honorable M. Reymond a mis en cause les officiers supérieurs qui commandent les groupes aéronautiques, ou plutôt il a fait remarquer ce fait, évidemment critiquable à première vue, que ces officiers n’étaient pas eux-mêmes des aviateurs.
C’était là, messieurs, dans la période d’installation des services de l’aviation une situation inévitable.
Mais je dois dire que les trois officiers supérieurs qui sont actuellement –j’insiste sur le mot- à la tête des services de l’aviation, offrent des garanties de compétence qui peuvent inspirer pleine confiance à leurs subordonnés et à leurs chefs.
Les Pilotes civils.
Je reviens, messieurs, aux pilotes civils et aux primes dont ils pourraient bénéficier.
Les primes auxquelles j’ai fait allusion tout à l’heure seraient constituées de la manière suivante : tout jeune soldat arrivant au régiment avec un certificat constatant l’accomplissement des épreuves du brevet militaire recevrait une prime dont le chiffre est à déterminer, mais qui s’élèverait à plusieurs milliers de francs. Les seules conditions à remplir seraient que le pilote ait été formé sur un avion de type escadrille et en outre qu’il possède encore au moment de son incorporation, les aptitudes physiques nécessaires.
Quant aux réservistes dont j’ai dit quelques mots tout à l’heure, s’ils veulent se plier à un entrainement régulier et passer tous les six mois, par exemple, un examen prouvant qu’ils sont toujours en mesure de conserver les bénéfices du brevet militaire, ils obtiendront, eux aussi des primes importantes. Ce système assurerait, j’en suis certain, un bon recrutement d’aviateurs de réserve pour le cas de la mobilisation.
Déjà nombre de civils, détenteurs du brevet militaire, figurent sur les contrôles de la mobilisation. Les mesures que je compte prendre relativement à l’attribution des primes, ne feront qu’augmenter le nombre de ces aviateurs.
On paraissait douter ces jours derniers à cette tribune, de l’organisation de réserves au point de vue de l’aviation. Je tiens à dire que tout ce qui concerne la mobilisation des pilotes a fait l’objet d’instructions qui remontent au mois de mars dernier (circulaire du 13 mars 1913).
Je tiens d’abord à répéter que nous n’avons aucun parti pris à l’égard des constructeurs et que nous les considérons comme des collaborateurs précieux.
Le fait seul, d’ailleurs, que nous leur devons les premiers progrès accomplis dans l’aviation nous fait une obligation de continuer à les seconder et à les encourager.
Nous devons, par conséquent, faire en sorte de leur assurer des commandes annuelles. Mais beaucoup plus que dans n’importe quelle autre arme, la difficulté des commandes est grande dans l’aviation. Pour les armes de l’artillerie et de l’infanterie, on constitue des approvisionnements, et à moins de supposer des progrès absolument imprévus, ces approvisionnements sont de longue durée.
Ici, il n’en est pas de même. Les progrès incessants de l’aviation font qu’à chaque instant le matériel doit être renouvelé et amélioré ; il arrive souvent, par là même, qu’au moment où l’on entrevoie un perfectionnement prochain, on ne peut pas, on ne doit même pas faire les nouvelles commandes qui seraient projetées, dans la crainte qu’elles ne soient inutiles, du fait des progrès réalisés.
Il est donc impossible, en matière d’aviation, de poser des règles fixes pour les commandes, et de dire par avance que dans le courant de l’année on commandera exactement tel ou tel nombre d’appareils.
On peut indiquer des chiffres approximatifs, on ne peut jamais fixer les chiffres exacts. Dans tous les cas il est certain que nous n’avons pas seulement intérêt à avoir dans notre service actif un grand nombre d’appareils, ais que nous devons aussi nous réserver, pour le jour de la mobilisation, des appareils supplémentaires. Et ici, messieurs, qu’intervient le projet que nous avons à peu près arrêté et qui consiste dans les primes à l’appareil.
Tout constructeur qui présenterait à l’armée un avion du type escadrille, c'est-à-dire rentrant dans la catégorie usitée normalement dans nos centres d’aviation, recevrait une prime importante de plusieurs milliers de francs, pourvu qu’à deux reprises et à six mois il représente cet appareil et prouve qu’il l’a conservé en bon état et à la disposition de l’unité militaire.
Si au lieu d’un avion du type escadrille, il présente un appareil d’un autre type il devra, pour avoir droit à la prime, présenter à la fois l’appareil et l’aviateur entrainé pour le monter. Mais les primes ne seront pas indéfiniment renouvelables ; après deux semestres et deux présentations de son appareil, le constructeur devra, pour avoir droit aux primes, présenter un appareil nouveau, c'est-à-dire perfectionné.
Il était nécessaire de prévoir, par ces dispositions, les améliorations incessantes qu’on peut réaliser sur les avions, et en même temps de stimuler le zèle des constructeurs
M. Hervey –Quel intérêt peut avoir un constructeur à garder chez lui un avion ?
Vous n’en trouverez pas un qui pour 2'000 francs veuille accepter cela.
Le ministre –Il ne s’agit pas de 2'000 francs. Nous prévoyons de primes assez élevées pour qu’au bout de deux semestres l’appareil soit à peu près entièrement payé. Cela est indispensable pour constituer un encouragement sérieux aux constructeurs.. L’Etat fera l’économie de frais d’entretien et d’abri des appareils.
M. Gaudin de Villaine –Comment est constituée la commission de réception ?
Le ministre -Des inspecteurs de l’aéronautique et d’officiers aviateurs.
M. Gaudin de Villaine –Ils n’ont pas voix au chapitre car à chaque instant on impose aux officiers aviateurs des appareils dont ils ne veulent pas.
Le ministre –Vous dites que les officiers aviateurs n’ont pas voix au chapitre. On leur a, tout au contraire, laissé pendant longtemps une trop grande latitude. C’est ainsi que nous avons des appareils dissemblables choisis par les aviateurs. Il est arrivé qu’après avoir choisi les appareils ils renonçaient à les monter.
M. Gaudin de Villaine –Je connais des exemples d’officiers qui n’ont pas voulu monter les appareils qu’on leur imposait.
Le ministre –Quant au nombre des appareils je tiens à dire au Sénat qu’il peut être avantageusement comparé à celui des avions allemands. Les Allemands ont actuellement de quatre cents sinquante à cinq cents avions, nous en avons six cents.
Les avions blindés
Après avoir constaté que nous n’avions pas d’avions blindés, M. Reymond nous a dit que ces avions blindés ne représentaient pas de très grands avantages . Nous voyons cependant quant à nous, qu’il est nécessaire d’avoir des avions blindés qui pourront plus surement étant à l’abri des balles ennemies, servir aux missions de reconnaissance.
M. Gaudin de Villaine –Pourquoi n’en avons-nous pas ? Les Allemands en ont bien !
Le ministre –Nous ne le savons pas.
M. Gaudin de Villaine –Si
Le ministre –On ne peut pas affirmer que les Allemands en aient.
M. Gaudin de Villaine –Je vous affirme qu’ils en ont.
Le ministre –Ils se préoccupent d’en avoir, mais il n’est pas prouvé qu’ils les aient à l’heure actuelle.
Les études allemandes relatives aux avions blindés se poursuivent dans le plus grand secret à Doeberitz et personne, je le répète, ne peut affirmer aujourd’hui que les Allemands aient des avions blindés.
Dans tous les cas, ce que je tiens à dire, c’est que nous avons conclu avec un certain nombre de maisons des marchés conditionnels pour la fourniture d’avions blindés. J’ajoute que nous en avons actuellement un construit par le commandant Dorand qui parait donner toute satisfaction.
D’ailleurs, pour répondre aussi à des observations qui tendaient à prouver que nous n’avons pas expérimenté nos avions, et que nous n’avons pas songé à constater els dégats qu’ils sont susceptibles de produire, nous pouvons dire qu’au Maroc les avions ont rendu à cet égard, des services appréciables. C’est ainsi, notamment, qu’à Tadla ils ont incendié des villages et rendu des services à la colonne du général Mangin.
Nous avons enfin un autre type d’appareils, un type de destroyer, c'est-à-dire blindé et armé, et bientôt, nous aurons un autre type de ce même avion. Nous allons procéder é l’expérimentation de ce destroyer avec toutes les précautions nécessaires, et j’espère que si, comme nous le supposons, les résultats sont satisfaisants, nous pourrons bientôt commander un certain nombre de ces destroyers, qui seront appelés à la fois par leur rôle offensif et leur puissance défensive, à rendre les plus grands services.
Le comte de Treveneuc –Il semble tout à fait inutile de dire cela.
Le ministre –On nous a reproché de ne pas avoir des avions suffisants. Je réponds que nous faisons des études.
M. Gaudin de Villaine –J’ai dit que les Allemands en avaient.
Le ministre –Puisque je parle des appareils, je veux dire un mot de ceux qui ont été achetés avec les fonds provenant de la souscription nationale.(Mouvements divers)
L’emploi des fonds de la souscription nationale.
Pendant les exercices 1912 et 1913 on a acheté 577 appareils qui ont été livrés. Cent autres restent à livrer, nous avons donc en tout 677 appareils achetés au cours des exercices 1912 et1913.
175 appareils proviennent des fonds de la souscription nationale sur lesquels 21 ont été donnés commandée et payés par les souscripteurs. A ce chiffre nus devons ajouter 72 appareils qui ont été transformés et réparés après avoir subi très petits dégâts.
Mais les 175 appareils provenant de la souscription nationale –ou plutôt 156 puisqu’il y en a 21qui ont été offerts en nature par les souscripteurs, n’ont pas été payés intégralement avec les fonds de cette souscription. On a attribué à celle ci le bénéfice de ces achats en comptant une somme de 15’000 francs par appareil. Or, comme les avions coutaient bien davantage, ce sont les crédits budgétaires qui ont parfait la différence entre les 15'000 francs et la valeur réelle. C’est ainsi qu’en sus des 2'268'329 francs de la souscription nationale l’Etat a versé sur les crédits budgétaires pour les avions considérés comme appartenant à cette souscription 1'090’000fr. les achats d’appareils sur les crédits budgétaires, se sont élevés ainsi en 1912 à 6'649'000 fr. En 1913 ils ont été de 5'873'000 fr. A cette somme doit s’ajouter le prix des appareils à livrer auquel est affectée une provision d e 2'535'000 fr, ce qui représente un total de 15'000'000 en totalité.
Une somme de 4 millions n’a pas été employées sur les crédits budgétaires. C’est évidemment ce qui q donné lieu aux critiques dirigées contre le ministère de la guerre. Maia le fait que nous avons encore 100 appareils à livrer prouve que les constructeurs tout en réclamant des commandes n’ont pas toujours été en mesure de les exécuter en temps voulu.
Dans tous les cas ces 4 millions que l’on aurait du employer ne sont pas perdus pour les constructeurs, ils sont reportés sur l’exercice 1914 et ne se confondent nullement avec les crédits budgétaires propres à cet exercice.
Par conséquent si les constructeurs sont en mesure d’exécuter les commandes qui vont leur être faites, au cours de cet exercice, sur les 4 millions qu ont été reportés des exercices antérieurs et sur les crédits prévus au budget 1914, ils n’auront rien perdu, et ne sauront légitimement se plaindre.
Ce que je tenais à affirmer, après avoir fait examiner par le service du contrôle, l’emploi des fonds provenant de la souscription nationale, c’est que ces fonds ont bien été employés conformément aux intentions des donateurs.
M. Hervey –Voulez-vous me permettre une observation M. le ministre
Le ministre -Volontiers
M. Hervey –Comment se fait-il que des commandes, consécutives à ces crédits, n’aient été passées que le 13 décembre pour la même année ? Il ne faudrait pas dire que les constructeurs n’ont pas livré à temps les appareils quand on a passé les commandes le 13 décembre, pour la même année.
C’est peut-être parce qu’on avait mis six mois à préparer les cahiers de charge qu’on n’a pu se faire livrer à temps des appareils. Ne chargeons donc pas les constructeurs de ce qui n’est peut-être qu’une faute des bureaux.
Le ministre –Les constructeurs ont été incontestablement en retard pour un grand nombre d’appareils.
Quand à la commande passée le 13 décembre, le lendemain du jour de mon arrivée au ministère, je ne saurai vous renseigner d’une façon précise, mais M. le commissaire du gouvernement pourra le faire.
Le général Bernard, chargé des services de l’aéronautique, commissaire du gouvernement –Il est absolument exact que les commandes sont faites en retard. Cela tient d’abord à ce que les formalités administratives sont très nombreuses (Mouvements divers)
M. Hervey –Alors ce ne sont pas les constructeurs qui sont en faute !
Le commissaire du gouvernement -…mais d’un autre coté il est un fait certain c’est que les constructeurs sont avisés, tout au moins officieusement, des commandes qui leur seront faites.
Si les formalités administratives, par exemple le transfert de la demande à la direction du contrôle au ministère de la guerre et à la commission des marchés, prennent deux mois à deux mois et demi…
M. Hervey –Ou six
Le commissaire du gouvernement -…il n’en est pas moins vrai comme je le disais tout à l’heure, que dès que la commission des commandes se réunit et qu’elle arrête les chiffres des appareils à commander, ces chiffres sont portés à la connaissance des constructeurs et l’on peut croire qu’ils pourraient dès ce moment, mettre leurs appareils en construction.
M. Hervey –Il faut n’avoir pas été industriel pour faire une pareille réponse.
Le commissaire du gouvernement –Nous avons constaté cette erreur, et des ordres sont donnés pour que la commission des commandes se réunisse dès le mois de janvier pour préparer les commandes du deuxième semestre de l’année, et dès juillet pour préparer celles du premier semestre de l’année suivante.
M. Gaudin de Villaine –Et les quatre dirigeables, monsieur le ministre, qui devaient être fournis en janvier ? (Réclamations sur divers bancs)
Un membre à droite –C’est intéressant.
Le ministre –J’en parlerai tout à l’heure. Laissez moi en terminer avec aviation (Parlez, parlez)
L’administration de la guerre et l’industrie privée
Messieurs, diverses critiques ont été formulées pour représenter l’administration de la guerre comme entravant le développement de l’industrie privée et restreignant à un certain nombre de types ses commandes d’avions. A ce point de vue nous pouvons citer l’exemple de l’Allemagne, qui s’est décidée pour deux types, un type de biplan et un de monoplan. Nous croyons nécessaire de n’avoir qu’un nombre restreint de types d’appareils. Nous avons eu à constater, dans le passé, qu’il était mauvais d’avoir des types nombreux et dissemblables, et combien, à ce point de vue, on avait été mal inspiré lorsqu’on s’était fié aux désirs des aviateurs qui choisissaient leurs appareils encore il y a deux ou trois ans.
Nous reconnaissons la nécessite de n’admettre les appareils qu’après des essais tout à fait rigoureux. On a eu évidemment tort, ainsi que le montrait l’autre jour M. Poulle d’admettre un type d’appareil, pour déclarer peu de temps après que cet appareil ne pouvait rester en service. Sans doute entre le moment où les appareils dont il s’agit avaient été acceptés et celui où l’on a renoncé à s’en servir, des accidents étaient survenus à la suite desquels des aviateurs avaient déclaré qu’ils ne voulaient plus monter ce avions. Mais le seul fait que des appareils dont on a reconnu très vite les inconvénients aient pu être agréés et acceptés, prouve que les essais n’avaient pas été suffisants. Nous exigerons donc des essais rigoureux, et quand nous aurons déterminé les types en petit nombre d’appareils, nous demanderons à nos constructeurs d’imiter les constructeurs allemands, qui ne se bornent pas à établir les appareils de leur type, mais acceptent également de construire des appareils qui ne sont pas de leur invention et dont l’autorité militaire a déterminé le type.
M. Emile Reymond –Il faut le leur imposer.
Le ministre –Je suis convaincu que les industriels comprendront que tel est leur véritable intérêt , et en même temps que c’est le procédé le plus conforme au progrès de l’aviation. Bien entendu toutes les fois que des améliorations pourront être apportées à ces appareils, et lorsque ces améliorations auront été dument constatées, nous ne voyons aucun inconvénient à ce que des constructeurs prennent l’initiative d’améliorer les résultats donnés par des appareils inventés ou non par eux.
Nous désirons également développer, favoriser les vols de nuit qui sont, paraît-il, pratiqués en Allemagne et, a-t-on dit, en Angleterre également. Mais nous avons besoin, étant donné les dangers qu’ils présentent, de réaliser certains perfectionnements dans les appareils dont les moteurs doivent être parfaitement au point. Ces moteurs seraient, prétend-on, en Allemagne, supérieurs aux nôtres. Nous voulons provoquer entre les fabricants de moteurs une émulation qui nous permette d’arriver au moins à un même degré de perfectionnement.
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L’entrainement des aviateurs
M. Reymond a fait également allusion à le nécessité pour les aviateurs, de s’entrainer par des raids continuels et spécialement le long de la frontière. Il dit avec raison que le meilleur moyen de se guider n’était pas de savoir consulter la carte, mais d’avoir déjà traversé, à plusieurs reprises, le pays, de l’avoir sillonné en tout sens et de connaître ainsi tous ces accidents de terrain.
Si nous avons réduit le nombre des centres d'aviation, nous nous proposons néanmoins, tout en conservant les terrains d'atterrissage, surtout dans la région frontière, de permettre aux aviateurs de sortir continuellement et d'étudier les régions qu'ils auraient besoin de connaître en cas de guerre.
Ce que je tiens à dire, c'est que nous avons eu en 1913, pendant les manoeuvres, un exemple remarquable de ce que peuvent faire les escadrilles. Six escadrilles sont allées par la voix des airs de Maubeuge, Reims, Châlons, Epinal et Belfort à Toulouse, d'où elles sont reparties par la même voie pour rejondre leurs garnisons respectives, après avoir décrit autour du Plateau-Central des itinéraires jusqu'ici non parcourus. C'est un résultat qui nous permet de considérer que nos aviateurs connaissent bien leurs appareils et qu'ils sont en mesure de nous rendre les plus grands services.
Ils sont dès maintenant en état de sillonner, comme le désirait l'honorable M. reymond, les frontières et en particulier les frontières du nord-est.
La sécurité des aviateurs
J'arrive enfin à la question de sécurité en aéroplane.
Plusieurs préoccupations dominent cette question.
On peut parvenir à assurer la sécurité, d'abord en renforçant certaines pièces des appareils. A cet égard l'expérience a démontré, au début surtout, que certains appareils avaient besoin d'être renforcés. Des pièces légères ou mal disposées ont entrainé des accidents mortels.
On a songé à assurer la sécurité des avions au moyen de parachutes dont se servirait l'aviateur quand il ne pourrait plus gouverner son aéroplane.
A cet égard des expériences ont été faites; nous nous proposons dès que nous aurons des résultats certains, de voir dans quelle mesure les parachutes pourraient être utilisés dans l'aviation militaire.
Il y a aussi les stabilisateurs proprement dits. Ils donnent lieu à des appréciations diverses de la part des aviateurs. Certains d'entre eux ne veulent pas s'en servir. Il faut reconnaître d'ailleurs qu'on n'a paa trouvé jusqu'à ce jour de stabilisateur donnant complètet satisfaction. Cette question nous préoccuppe et le Sénat peut être certain que les études relatives aux stabilisateurs seront suivies avec intérèt par mes services.
Le jour où un modèle de stabilisateur donnant de réelles garanties de sécurité serait enfin découvert, ce jour-là le service de l'aviation militaire s'empresserait de l'adopter. (très bien).
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