Lettre du Président de la chambre syndicale des industries aéronautiques
(4 janvier 1914)
Nous avons publié dans le Temps du 31 décembre dernier un rapport du Comiét national pour l'aviation militaire ayant pour objet d'établir la situation complète des avions comm,andés aux constructeurs français
Les membres de la chambre syndicale des industries aéronautiques s’élèvent contre les termes de ce rapport et leur président nous communique le texte de la lettre suivante qu’il adresse au Sénateur Reymond président du Comité national pour l’aviation militaire.
Monsieur le Président
Bien qu’il ne soit pas dans nos intentions de continuer une polémique qui sort du cadre de nos travaux nous nous voyons obligés d répondre publiquement au rapport que vous avez bien voulu nous communiquer l’autre jour et que vous avez cru devoir rendre publique avant que nous l’ayons étudié.
Nous tenons d’abord à vous remercier du soin que vous avez pris à établir ce rapport mais nous nous voyons contraints de présenter à son sujet certaines observations que nous aurions préféré vous exposer avant toute publication et qui auraient certainement modifié vos conclusions.
Nous tenons à préciser du reste que si nous, constructeurs, sommes intervenu dans cette question c’est non seulement parce que la vitalité de notre industrie exige que les commandes publiquement annoncées et sur lesquelles nous comptons, soient exécutes parce qu’elles représentent le minimum nécessaire à l’existence de nos maisons d’aviation, mais aussi parce que le Parlement et l’opinion ont jugé qu’elles correspondaient aux besoins évidents de la défense nationale.
Réserves pour 1913
Dans le rapport que vous avez publié, vous donnez les chiffres des achats d’appareils faits aux divers constructeurs en 1912 et des commandes qui leur sont –ou leur seront- passées en 1913.
Vous vous êtes basés, dites-vous, pour établir ce rapport sur des chiffres fournis par les Etablissements de Chalais-Meudon et vérifiés par vous sur le livre de réception des appareils.
Ce livre, sans aucun doute, a pu vous fournir toutes précisions utiles pour 1912 dont l’exercice budgétaire est clos. Mais en ce qui concerne 1913 des réserves sont nécessaires car vous reconnaissez vous-mêmes qu’à ce jour il n’y a que 286 appareils livrés sur les 431 dont vous faites état. Etant donné l’époque de l’années où cette déclaration est faite il est contestable que les 145 appareils restant soient payés sur le budget 1913. Nous sommes e tout cas en présence d’une imprécision forcée qui ne permet aujourd’hui à aucun de nous d’argument avec précision avant la clôture de l’exercice budgétaire. Nous attendrons donc cette clôture pour reprendre, s’il y a lieu, cette discussion sur des chiffres exacts et nous contenterons pour l’instant d’examiner les chiffres relatifs à 1912.
Les achats en 1912
Pour ledit exercice 1912 les nombres d’appareils achetés sont les suivants :
1° d’après la commission des finances du Sénat : 274
2° d’après notre chambre syndicale : 272
(et non pas 219 chiffre qui ne vous avait pas été donné comme définitif)
3° d’après une première évaluation de Chalais-Meudon communiqué à votre comité (Temps du 21 décembre) : 362
4° d’après l’Aéronautique militaire (Matin du 25 décembre) : 321
5° d’après une second évaluation de Chalais-Meudon communiquée à votre comité (Temps du 31 décembre) : 320
Ce dernier chiffre qui est celui de votre rapport, comprend, d’après vous 1° 16 appareils transformés (dont le prix n’a aucun rapport avec celui des appareils neufs et qui n’augmentent pas d’une unité le nombre des avions en service) ; 2° 12 appareils provenant de dons qui ne sauraient entrer en ligne de compte avec des appareils achetés –soit à déduire de votre chiffre de 320 appareils achetés 28 appareils, c'est-à-dire qu’il n’a été réellement acheté, d’après vos chiffres que 292 avions.
Voulez-vous remarquer que ce chiffre de 292 qui est votre n’est plus en désaccord que pour 18 ou 20 unités avec les chiffres de la commission du Sénat et de notre chambre syndicale, chiffres sur lesquels nous nous sommes toujours appuyés et avec lesquels l’aéronautique militaire était précédemment en désaccord de 90 unités.
Nous ne nous attarderons donc plus à discuter pour les quelques unités qui nous séparent encore et nous ne voulons plus tirer notre conclusion que de vos propres chiffres.
Les avions souscrits n’ont pas été achetés en 1912
Le budget de 1912 prévoyait l’achat de 334 appareils neufs auxquels devaient s’ajouter les 72 avions de la souscription nationale ce qui nous donnait pour cette année là un total de 406 avions à acheter. Mais comme pour chacun de ces avions vous ne versiez que 15,000 francs et que le budget devait parfaire la somme, celui-ci s’est trouvé grevé d’une dépense équivalente à l’achat de 25 appareils neufs ; aussi le budget ne permettait plus d’acheter que 334 – 25 = 309 appareils. Nous irons même plus loin et nous prendrons comme vous pour base le chiffre 300, qu’indiquait du reste, pour tenir compte de cette réduction, le Général Hirschauer, dans une lettre du 7 octobre 1912.
Le total des appareils neufs à acquérir en 1912 était donc de
Budget 300
Souscription 72
Total 372
Or votre propre rapport établit qu’il a été acheté au total 292 avions neufs.
Il manque donc pour 1912 d’après vos propres chiffres toujours
372 – 292 = 80 avions.
Ce déficit est supérieur de quelques unités au nombre des avions qui devaient être achetés cette année là pour le compte du Comité national. Ainsi vos propres chiffres confirment simplement ce que nous avons avancé : les avions de la souscription n’ont pas été achetés en surplus des avions budgétaires.
En ce qui concerne 1913 pour les raisons exposées plus haut ni vous ni nous ne pouvons discuter sur des chiffres précis c’est pourquoi nous n’acceptons pas de vous répondre pour l’ensemble des deux années qu’expose votre rapport
Cependant ce rapport lui-même nous fait constater qu’au 31 décembre 1913 plus du tiers des appareils dont vous faites état pour 1913 restent à livrer. De plus un certain nombre de marchés concernant ces appareils ont été passés dans les tous derniers jours de l’année, certains ne sont même pas encore régularisés et livraisons s’échelonnent jusqu’au-delà du milieu de 1914.
Par conséquent la plus grande parie de ces appareils, une centaine environ, ne sauraient être payés sur le budget de 1913, et se trouveront reportés sur 1914, comme cela a eu lieu pour 42 appareils en 1912.
La situation pour 1913
De plus, comme le chiffre des commandes que vous indiquez vous-même comprend des « transformations d’appareils et des dons » il ressort que le déficit constaté en 1912 dans les commandes n’a fait que s’accroître en 1913.
Dans ces conditions, en nous basant sur vos propres chiffres, nous ne pouvons que maintenir notre opinion :
1° en 1912 les avions de la souscription nationale n’ont pas été achetés en supplément de ceux qui avaient été prévus au budget
2° en 1913 ce que nous connaissons de la situation nous donne la certitude que cet exercice loin de compenser le déficit du précédent ne fera que l’accentuer.
En conséquence vous comprendrez qu’il nous soit, à notre vif regret, impossible d’accepter les conclusions de votre rapport comme nous vous le disons d’ailleurs au début de cette lettre.
D’autre part un fait nouveau s’est produit depuis le début de nos débats. M. le député Girod a posé une question écrite à M. le ministre de la guerre sur le sujet qui nous occupe. Si nous estimons que rien ne peut modifier notre opinion puisque vos chiffres comme les nôtres puisés à des sources différents, amènent malgré leurs divergences à des conclusions identiques en faveur de notre thèse, nous croyons pourtant préférable avant d’entrer dans d’autres détails d’attendre la réponse du ministérielle.
En regrettant, monsieur le président, de ne pouvoir nous dire d’accord avec vous et en vous répétant nos remerciements pour la peine que vous avez prise,nous vous prions d’agréer l’assurance de nos sentiments les plus distingués.
Le président de la chambre syndicale des industries aéronautiques
Robert Esnault-Pelterie