L'aéronautique militaire

Discours de M. Reymond

Rapport de M. Rousseau

Réponse des constructeurs

Réponse du ministre

La revue militaire juin 1914

Discours de M. Reymond

 

L'aéronautique militaire
M. Reymond est alors monté à la, tribune pour développer son interpellation sur l'« aéronautique militaire ».
L'orateur rappelle d'abord qu'il a déposé sa demande d'interpellation il y a six mois et il estime que depuis lors la situation, déjà mauvaise, s'est aggravée il faut dire tout haut le mal si on veut le guérir.
Les dirigeables
Le sénateur de la Loire traite d'abord la question des dirigeables.
M. Reymond.
L'Allemagne a 14 dirigeables; nous en avons 7. Chez nos voisins les moteurs sont de 700 et 800 chevaux, chez nous, de 300.
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Les avions
L'orateur passe aux avions. Il estime qu'il aurait fallu développer l'aviation de telle sorte qu'un dirigeable allemand ne pût pénétrer en France ou en sortir. Qu'a-t-on fait pour donner aux avions le moyen de détruire les dirigeables?
Rien. II nous faudrait, à là fois, un matériel et l’instruction du personnel.
En mars 1911, 1,500. officiers demandaient à être aviateurs; en 1913, on n'en a pu trouver que122. Le dernier chiffre officiel de nos pilotes était de 220 c'est un chiffre exagéré. Les pilotes pouvaient faire oeuvre utile ne dépassent pas 100 et la
moitié d'entre eux veulent partir. La cause est une immense désillusion.
Quels sont les remèdes? Actuellement, les pilotes sont admis par recommandation- avec la consentement de leur chef de troupe; celui-ci s'il est content de son officier refuse son consentement. Les deux tiers des officiers choisis sont incapables de faire des aviateurs ce sont des embusqués ou des candidats, à la mort. Le corps des pilotes doit être un corps d'élite.
Beaucoup de jeunes gens, qui avant leur incorporation avaient passé leur brevet, n'ont pas été admis dans -l'aviation,, et des aviateurs professionnels ont été versés dans les services auxiliaires.
M. Reymond. Le recrutement des officiers supérieurs qui commandent les pilotes n'est pas toujours fait dans les conditions les plus judicieuses; ils ne sont pas préparés à leur rôle. Ils ignorent tout de l'aviation. "Ils ignorent tout de la mécanique. Ils donnent à leurs subordonnés des défenses sans aucune raison et des ordres inexécutables. (Applaudissements.)
L'aviation actuellement peut se comparer à un corps de cavalerie dans lequel on ne pourrait plus monter à cheval à partir du grade de capitaine. (Très bien et rires.)
Les soldats doivent pouvoir entrer directement dans l'aviation; les sous-officiers doivent pouvoir y rengager et y gagner les galons d'adjudants et même ceux d'officiers comme dans les autres armes.
M. Reymond interrompt; il est convenu qu'il continuera son discours si documenté mardi;
Quand il descend de la tribune, il est vivement applaudi et félicité.
LE SÉNAT
SÉANCE DU 27 JANVIER
L'aéronautique militaire.
M. Reymond, sénateur de la Loire, a terminé hier, devant un auditoire attentif et vivement impressionné, le discours qu'il avait commencé vendredi dernier.
1 Le personnel
L'orateur traite d'abord la question du personnel.
M. Reymond. Les mécaniciens représentent dans l'aviation un élément essentiel; il faut un mécanicien par appareil, connaissant son pilote et son avion. Or, dans l'un de nos grands centres, tout récemment, il y avait cinq mécaniciens pour quinze appareils et dans un autre cinq pour seize,
Le résultat, c'est que les mécaniciens ne peuvent pas s'acquitter de la mission qui leur incombe. On les emploie d'ailleurs trop souvent à de tout autres tâches que la leur.
Les mécaniciens sont reçus à la suite d'épreuves, de concours. On a éloigné de l'aéronautique des mécaniciens doués de qualités de premier ordre. J'en .connais un qui a été envoyé dans les chasseurs alpins alors qu'il avait été signalé au recrutement comme le seul homme capable de construire les avions d'une certaine marque. (Exclamations.)
J'ai signalé son cas au ministre. Il me fut répondu que si ce chasseur alpin désirait passer dans l'aviation il devra.. présenter, par la voie hiérarchique, une demande de changement d'affectation pour convenances personnelles (Nouvelles exclamations et rires.)
Pendant ce temps, les deuils de notre aéronautique se multiplient, dus le plus souvent à l'état déplorable des appareils.
Tout est à faire pour l'organisation de la réserve de l'aéronautique. Des bonnes volontés attendent. Ne les lassez pas! Il faudrait qu'au jour de la mobilisation on ait sous la main les hommes compétents dont on aura besoin.
Les appareils
Du personnel, le sénateur de la Loire passe aux appareils.
M. Reymond. Les moteurs allemands sont aujourd'hui plus puissants que les nôtres; en Allemagne, on utilise couramment des avions blindés. Nous n'en avons pas. Mais cela ne m’inquiète pas outre mesure, car je crois qu'en guerre la vitesse serait la meilleure défense pour les aviateurs. (Très bien!).
En ce qui concerne les avions armés, l'aéronautique militaire allemande est nettement supérieure à la nôtre.
Des initiatives privées se sont produites; l'administration de la guerre s'y est montrée hostile jusqu'à ces derniers temps.
L'orateur juge que la question de l'achat des avions est complexe. On a le tort de ne pas donner aux constructions les directions nécessaires. L'Allemagne et l'Angleterre disposent aujourd'hui d'appareils meilleurs que les nôtres. Elles ont, d'ailleurs, copié nos marques en les perfectionnant.
Cela ne veut pas dire que la partie soit perdue pour nous; mais il faut réveiller les initiatives et obtenir de nos constructeurs tout ce qu'ils peuvent donner. Comment les encourager? Par des achats d'appareils d'essai, des. primes, concours et aussi en favorisant l'entente entre divers
constructeurs pour la construction d'appareils uniformes. Deux maisons françaises vont être amenées par l’appât d'une prime de 400,000 francs promise par le gouvernement italien à construire deux. usines en Italie. Que n'a-t-on fait le nécessaire pour les encourager à construire plutôt ces usines eh France?
Les centres d'aviation
M. Reymond s'occupe aussi des centres d'aviations.
M. Reymond. L'administration a décidé de grouper tous les services de l'aéronautique dans deux régiments stationnés à Dijon et Reims. Mais alors que vont devenir les centres d'aviation créés à grands frais?
J'espère bien qu'on ne les abandonnera pas.
Il faut que les centres et groupes soient transformes en de véritables camps d'instruction. L'escadrille est l'unité qu'il faut absolument conserver.
On songe à Instituer une école supérieure d'aviation.
C'est là une création indispensable, ce sera la pépinière de tous nos grands chefs en aéronautique.
L'orateur demande: que. l'Aéronautique militaire porte ses efforts.-sur- le perfectionnement ide, .la télégraphie sans fil à bord des avions; qu'elle favorise les expériences des savants qui appartiennent à .l'armée, tels que le capitaine Saconnay, qui a déjà rendu à notre aviation les plus signalé services.
Il faudrait également réformer les règles illogiques actuellement appliquées pour les soldes.
Les avions de destruction
M. Reymond attire l'attention du Parlement sur la question des avions de destruction, fort importante.
M. Reymond. Le peuple dont les avions auront, au début de la prochaine guerre, détruit les avions de l'adversaire, sera presque assuré de la victoire finale.
On peut attendre beaucoup des vols de nuit. Or on n'a nullement encouragé nos aviateurs dans cette voie.
L'Allemagne a sur nous une supériorité numérique incontestable. Il faut que la France crée cette arme de l'aviation, qui lui permettra de faire beaucoup avec un nombre d'hommes relativement peu considérable.
Peut-être le développement de cette arme rendra-t-il un jour possible la diminution de nos effectifs actuels dont le maintien est encore indispensable.
Non seulement, nous ne préparons pas suffisamment l'avenir mais dans le passé nous avons laissé perdre des occasions très favorables. Nous ne nous sommes pas servis suffisamment de' l'avion au Maroc. Un centre a été construit à grand' peine a Fez; il manquait des pièces de rechange, On a transporté le centre à Casablanca il dépend du chef du groupe de Versailles, d'où les pièces de rechange sont envoyées. (Exclamations.).
Depuis un an, des pièces demandées ne sont pas encore arrivées. (Nouvelles exclamations.) Il en est résulté un mécontentement que vous pouvez apprécier parmi les officiers et les sous-officiers. Ils ont dû recourir à des particuliers pour obtenir des moyens de destruction.
Organisation; Conclusions
Après avoir ainsi étudié en détail toutes les parties de l'aéronautique militaire, M. Reymond considère l'organisation générale. Il rappelle que le sénat a réclamé, en 1910, l'autonomie de l'aviation il faut la réaliser. Il raconte qu'à la nomination du général Bernard, un général d'artillerie s'était écrié « Ah le génie a eu les deux premières manches avec lès deux précédents inspecteurs de l'aéronautique; il faut que l'artillerie ait son tour. » ̃
Non ce qu'il faut, c'est en finir avec ces luttes de corps. Il faut arracher l'aviation à l'influence de la commission supérieure de l'aéronautique militaire. Il faut également que les chefs de l'aviation puissent être recrutés parmi les aviateurs, et qu'un puissant esprit de corps y soit créé.
Et l'orateur termine par ces mots « J'ai montré l'étendue du mal et les forcés vives que nous avons pour le guérir. J'espère que le ministre nous montrera qu'il est résolu à organiser ces forces et à atteindre ce but. » (Vifs, applaudissements répétés.)
M. Reymond, en revenant à son banc, reçoit le félicitations de tous ses collègues.
Suite de la discussion
M. Cazeneuve, sénateur du Rhône, laissant de côté les questions générales qui viennent d'être traitées d une façon magistrale, demande pourquoi, après trois ans d'études, on enlève brusquement à la région lyonnaise le centre d'aviation de Bron pour le transporter à Dijon.
M. Herriot, maire de Lyon, appuie éloquemment les observations de son collègue.
M. Maxime Lecomte, sénateur du .Nord, présente des observations analogues; il 'redoute de voir disparaître les contres d'aviation de son département «Avesnes, Maubeuge, Douai
M. Poulle rapporte, l’histoire de L’avion La Vienne, offert par souscription, soit 22,000 francs, par le département qu'il représente au Luxembourg.
L'avion fut accepté par le ministère de la guerre le 17 août 1913 et mis en service le 17 octobre.
M. Guillaume Poulle. Le 3 novembre suivant, nous apprenions par le plus grand des hasards quo défense était faite de se servir de cet avion, ainsi que de dix-huit appareils similaires,
M. Jénouvrier. Qui a fait cette défense?
M. Guillaume Poulie. L'autorité militaire, Mais l'ordre ne se bornait pas là; il proscrivait la destruction des appareils.
M. Jénouvrier. C'est un crime I
M Fabien Cesbron, A quels aliénés avait-on affaire ?
M. Guillaume Poulie. Je suis ici l'écho de l'émotion que cette nouvelle a provoquée dans mon département.
La-Vienne et les autres avions ont été transportés dans les locaux militaires de la Ménagerie, à Versailles, où ils ont été, je puis dire, non démontés, mais démolis par des ouvriers quelconques, (Exclamations.).
On donne deux raisons de cette nécessité d'unifier les appareils employés; nécessité d'assurer la sécurité des pilotes.
L'administration militaire avait déjà eu l'occasion de revenir sur une réception prononcée. Mais l'appareil n'avait pas été détruit, et il put, après modification, être laissé en service.
Quand vous me parlez de l'unité des marques et de la sécurité des officiers, je m'incline. Mais comment un appareil que vous avez réceptionné, en déclarant, le 17 octobre, qu'il répond brillamment aux exigences du service, présente-il, le 3 novembre, de tels dangers qu'il faut non seulement en interdire l'usage, mais le démolir, pour plus de sécurité?
Songez à ce que peuvent penser, devant de tels faits de braves gens d'esprit simpliste et ce qu'ils feraient demain si vous aviez besoin de leur obole. Vous avez fait pis que d'amoindrir la défense nationale vous avez diminué la confiance (Applaudissements.)
M. le ministre nous a dit On vous doit une réparation, Désignez-nous l'appareil sur lequel vous vouliez qu'on remette la plaque de la-Vienne. »
Je ne puis pas vous désigner un appareil, de crainte qu'il ne soit encore condamné, et qu'il n'aille un jour meubler la « Ménagerie » Mais J'espère que vous ferez un choix judicieux et définitif.
Je demande à M, le ministre de prendre des mesures pour que de telles erreurs ne se reproduisent pas. Les révélations de M. Reymond ont causé ici une impression très profonde. Vous avez dit que vous parleriez sans ménager personne. Nous vous demandons surtout d'agir sans ménagements. Car, si vous avez une responsabilité pour tout ce qui regarde la défense nationale, nous avons aussi la notre. (Vifs applaudissements.)

Des observations sont encore présentées par M.Hervey, puis par M. Alexandre Buvard, qui parle du centre d'aviation promis à Ambérieu, et la suite de cet émouvant débat est remise à la séance suivante.

Le Temps, janvier 1914

Manoeuvres du Sud-Ouest

Surveillance des frontières

Budget 1913

L'Aéronautique militaire