|
Ménard Victor
Né le: 8 juin 1881 Mort le: 13 avril 1952 Profession avant la mobilisation: Pilote Passé à l'aviation le: Brevet militaire le: 10 mars 1911 Parcours: Affectations: Esc 26 Pilote
Victor Ménard brevet civil n°199 29 août 1910
HF 32
F 36
Livre mémorial de la Légion d'Honneur en Charente-maritime: MENARD Victor Raphaël : né à Rochefort le 8/06/1881, décédé à Rochefort Le 13/04/1952. Officier Aviateur-Résistant déporté Ancien sous-officier du génie, était adjudant pilote aviateur en 1910. Durant la guerre contre l'Allemagne, il est fait prisonnier à Lille en 1914. Il s'évade en avril 1916. Nommé officier, il est promu chef de bataillon en 1918 et commande une escadre de combat. Il est envoyé en mission en Belgique en 1920. Il totalise 7 victoires aériennes. Il termine sa carrière comme colonel en 1929. Mobilisé en 1939, il entre dans la résistance, est arrêté et déporté en 1943. Croix de guerre 14/18 (7citations) Commandeur de la Légion d'Honneur
Sous-lieutenant Ménard participant comme pilote aux Grandes manoeuvres de 1910
1913 dans le Parti Rouge: Escadrille B du capitaine Francezon équipée de quatre Hanriot : lieutenants Ménard, Marlin, Germain, Clerc.
Lieutenant Victor Ménard cité dans le livre "Chasseurs de Boches " Lieutenant Ménard cité dans le livre "Evasions d'aviateurs " Capitaine Ménard cité dans le livre "Les As nous parlent "
1914: Lieutenant pilote à l’escadrille HF 32
Le 12 octobre 1914, le lieutenant Ménard partait en mission au-dessus de Lille : il s’agissait d’une mission de reconnaissance au-dessus de la ville encerclée, soumise à un bombardement intensif, et le quartier-général voulait savoir si le 20ème Chasseur avait réussi à arriver en renfort. Le lieutenant Ménard accomplissait cette mission, se posant même sur l’esplanade qui se trouve devant la citadelle, avec à son bord des dépêches, une caisse remplie de pigeons voyageurs et quelques médailles à distribuer. Souffrant d’une péritonite, il ne pourra pas redécoller de Lille et sera fait prisonnier par les Allemands puis envoyé au camp de prisonniers de Halle sur Saale avant d'être transféré à Ingolstadt au fort Prinz Karl où il retrouvera le capitaine Zédé. Après deux années de captivité, il s’évadera en compagnie du lieutenant Pinsard, réussissant à passer en Suisse, puis en France d’où il reprendra ensuite les combats au sein du 1er Groupe d'Aviation.

Extrait de l'Etat des pertes subies par l'aviation (9ème et 10ème armées). Campagne 1914
Récit de son évasion: La Guerre Aérienne N° 44
Capitaine en 1916 et Cdt de l'escadrille 26 du 15 juillet 1916 au 20 mars 1917 puis Commandant, Cdt de la 1ère escadre en 1918

Fin d'évasion de captivité
"Rapport présenté au ministre de la guerre par le capitaine Victor Ménard, du 1er groupe d’aviation.

Paris, le 6 mai 1916 : J’ai l’honneur de vous rendre compte des circonstances dans lesquelles, le 12 octobre 1914, j’ai été fait prisonnier par les Allemands. J’étais en qualité de lieutenant-pilote, à l’escadrille HF 32. Cette escadrille était cantonnée à Ramecourt. Elle était affectée à la Xème Armée qui était alors commandée par le général de Maud’huy dont le quartier général se trouvait à Saint-Pol. Le lundi 12 octobre 1914, vers 8 heures du matin, le commandant Fougeroux, Directeur de l’aviation de la Xème Armée, téléphona au château de Ramecourt où j’étais logé avec d’autres pilotes de l’escadrille. Je reçus moi-même la communication. Dans cette communication, le commandant demandait d’apporter l’ordre au capitaine Bordage, qui était le plus ancien chef des escadrilles de l’armée, de se rendre de suite au quartier général. Il ajoutait que Lille était assiégée et bombardée depuis le 10 octobre, qu’on était sans nouvelles des troupes qui s’y trouvaient et qu’il fallait envoyer un pilote pour y apporter des dépêches et des pigeons voyageurs. Je fis part de cette communication à mon chef d’escadrille, le capitaine Couret, et, bien que je souffrisse au ventre de douleurs atroces, je manifestais le désir d’être désigné pour remplir la mission dont il était question. Partis tous les deux à la recherche du capitaine Bordage, nous l’avons rencontré au moment même où il sortait du quartier général. A peine m’eut-t-il aperçu qu’il me demanda si je voulais aller à Lille. J’acceptai avec empressement cette mission et nous nous rendîmes auprès du général de Maud’huy. Le général me dit que le commandant de Pardieu lui avait fait savoir, par l’intermédiaire d’un cavalier, qu’il était enfermé dans Lille avec le détachement qui était sous ses ordres, et que cette ville était soumise à un bombardement intensif. Cette nouvelle datait du samedi précédent et on ignorait ce qu’il était advenu depuis lors. La ville était peut-être restée entre les mains des Français, ou bien elle était occupée par les Allemands et le détachement était assiégé dans la citadelle. Il se pouvait également que le détachement se fut rendu. Le général me demanda s’il était possible de se rendre compte, du haut d’un avion, de ce qui se passait à Lille, et si l’on pouvait, le cas échéant, atterrir à l’intérieur des remparts pour remettre au commandant de la place, des dépêches et des pigeons voyageurs. Je lui répondis que c’était difficile, mais qu’on pouvait arriver à réaliser un pareil atterrissage, à condition de ne pas craindre de sacrifier l’appareil. Un officier d’état-major, qui connaissait bien la place de Lille, me donna les renseignements indispensables, et je pus constater, en consultant le plan du guide Michelin, qu’on pouvait tenter un atterrissage sur l’esplanade qui se trouve devant la citadelle. J’étais d’ailleurs décidé à atterrir, le cas échéant, entre les pignons des maisons ou sur le glacis de la citadelle. En quittant le général, le capitaine Couret me fit observer que j’avais très mauvaise mine. Je souffrais en effet horriblement, mais comme la, mission qu’on venait de me confier était particulièrement périlleuse, je tenais à la remplir. A 10 heures, on me remit un panier contenant 6 pigeons voyageurs, et les 5 exemplaires d’une dépêche qui était conçue en ces termes : « Général de Maud’huy, commandant la Xème Armée, au commandant de Pardieu, commandant le détachement mixte de Lille : Je vous félicite pour la façon brillante avec laquelle vous avez ramené votre détachement mixte dans Lille. Je vous nomme lieutenant-colonel et je mets à votre disposition, une croix et deux médailles militaires que vous décernerez comme vous le jugerez convenable. Tenez dans Lille jusqu’au bout ! L’armée française toute entière se porte à votre secours. Le 20ème Chasseur est-il avec vous ? Donnez des nouvelles par pigeons voyageurs. Signé : général de Maud’huy ». A 11 heures, j’étais prêt à prendre le départ. A ce moment, je souffrais atrocement et le capitaine qui s’en aperçut, me proposa de me faire remplacer par le lieutenant Cheutin. Ce dernier insistait pour partir à ma place, mais je ne crus pas devoir accepter son offre, ne voulant pas que l’un de mes camarades me remplaça dans des circonstances aussi périlleuses. Je dois reconnaître que pendant la longue captivité que je viens d’endurer, je n’ai cessé de regretter de m’être chargé de cette mission ; mais je croyais que le mal qui me torturait, si douloureux qu’il fut, n’était que passager, et je ne me rendais pas compte de la gravité de mon état. Je suis parti de Ramecourt à 11h10. En passant au-dessus de La Bassée, j’ai subi une vive canonnade, de nombreux obus ont éclaté à la hauteur de mon avion tout autour de moi, mais j’avoue que je ne prêtais que peu d’attention à ce bombardement, tant étaient vives mes souffrances qui ne me laissaient aucun répit. D’ailleurs, j’étais surtout préoccupé par les difficultés dont me paraissait hérissée la mission que j’avais à remplir. C’est vers midi que je me suis trouvé au-dessus de Lille, à 2000 mètres d’altitude, autant que je pouvais m’en rendre compte, car il y avait une épaisse fumée qui obscurcissait l’atmosphère. Je constatais que les rues étaient désertes et que beaucoup de maisons brûlaient. Je me mis à tourner en cercle afin de pouvoir arriver à discerner quelle était la situation exacte. Pendant cette manœuvre, j’aperçus les éclatements de plusieurs projectiles. J’inférais de ce bombardement, que la ville continuait à être assiégée et qu’elle était, par conséquent, encore entre nos mains. Je n’avais plus d’hésitations à avoir : je pris immédiatement mes dispositions pour atterrir. Sentant que je ne pouvais pas évoluer au-dessus de l’esplanade sans risquer de servir de cible aux Allemands qui occupaient les maisons autour des remparts et qui ne cessaient, de ces maisons, de tirer sur la citadelle, je me plaçais en plein centre de la ville et, coupant mon moteur, j’exécutais une descente vertigineuse. Je me trouvais bientôt jusqu’à la hauteur des toits, à travers les pignons des maisons. En essayant de me dissimuler pendant ce trajet, je faillis plusieurs fois rester accroché aux fils qui sillonnaient les toits des maisons, et je me vis sur le point de capoter. Je parvins cependant à planer au-dessus de la citadelle, et je m’empressais, n’étant pas certain d’échapper aux ennemis, de laisser tomber quelques-unes de mes dépêches. Aucun de mes mouvements n’échappait aux Allemands. Ils continuaient à diriger leur feu sur moi. 9 balles atteignirent mon avion, mais aucun organe essentiel de mon appareil, ne fut endommagé. Je réussis enfin, après toutes ces péripéties, à atterrir sur l’esplanade. Quelques-uns de nos soldats m’avaient mis en joue, mais je parvins facilement à me faire reconnaître d’eux et je pus me présenter au commandant de Pardieu. Quelques minutes après mon atterrissage, je lui remis les dépêches et les pigeons voyageurs dont j’étais chargé, et je lui rendis compte des observations que j’avais relevées en cours de route. Le commandant ne me cacha pas que sa résistance ne pourrait plus durer longtemps s’il ne recevait pas de secours ; le 20ème Chasseur était bien dans la ville, mais un escadron de ce régiment avait été entièrement décimé et le colonel avait été mortellement blessé. Ce qui rendait surtout la situation angoissante, c’était le manque de munitions. Le convoi qui devait apporter les munitions, le 10 octobre, avait été pris par l’ennemi et on n’avait reçu aucun approvisionnement depuis lors. Je ne pus accepter l’invitation du commandant qui voulait me retenir à déjeuner ; j’étais toujours très souffrant et il me tardait de rentrer pour rendre compte de ma mission et pour me reposer. Avec l’aide de plusieurs troupiers, je fis placer mon avion pour prendre le départ, mais, au moment où je levais les bras pour lancer l’hélice, je fus pris de convulsions si violentes que je me couchais par terre en gémissant. Les soldats s’empressèrent de me porter secours ; ils crurent que je venais d’être blessé. Les obus tombaient en rafales. Les Allemands, qui de leurs positions, avaient assisté à ma descente, activaient le bombardement. On ne put me laisser sur le banc sur lequel on m’avait fait allonger. On me transporta dans une maison voisine, et de là, à l’hôpital auxiliaire de Notre Dame de la Treille. J’avais plus de 40° de fièvre et je me plaignais tellement, qu’on fut obligé de me faire des piqûres de morphine. On constata que j’avais une péritonite appendiculaire. J’eus néanmoins la présence d’esprit de donner des instructions aux étudiants en médecine qui étaient auprès de moi, pour qu’ils aillent détruire mon avion au cas où les Allemands entreraient dans la ville. Mais ils n’eurent pas le temps de procéder à cette destruction : dès 17 heures, Lille était occupée par les Allemands qui s’empressèrent de démonter le moteur de mon avion et brûlèrent toutes les autres pièces. Ayant trouvé dans l’appareil un fusil de chasse chargé de chevrotines, ils demandèrent où était le pilote. Ils avaient vraisemblablement l’intention de le fusiller pour s’être servi d’une arme non réglementaire, mais ils n’arrivèrent pas à me découvrir, car je m’étais fait inscrire sur les registres comme lieutenant du génie et n’avais pas mentionné ma qualité d’aviateur. Mes vêtements militaires avaient été déposés dans un magasin qui était sous la garde des Allemands. Ceux-ci les prirent et les remirent en place au bout de huit jours ; je n’ai pas pu savoir pour quel usage ils s’en étaient servis. Quant à mon pantalon et à mon veston de cuir, ils attirèrent l’attention du Dr Rose, du 14ème Corps, qui voulut les donner à son chauffeur ; mais comme je le menaçais de me plaindre, il les laissa. Pendant quelques jours, je fus entre la vie et la mort. Heureusement que je fus admirablement soigné par Mme Clément et par les Dr Vanverst et Surmont. Ce fut le 26 novembre que je fus opéré par le Dr Vanverst et l’opération réussit à merveille. J’étais en pleine convalescence lorsque, brusquement, le 10 décembre, je fus prévenu que j’allais être transporté en Allemagne. Mon départ eut lieu en effet ce jour là, à 8 heures. On me fit prendre un train sanitaire ; mon état de santé nécessitait en effet encore des soins constants et beaucoup de ménagements. Néanmoins, durant les deux longs jours que j’ai passé dans ce train, personne ne s’est occupé de moi. Je n’ai pu manger qu’un peu de soupe, alors que les soldats Allemands, au milieu desquels j’étais couché, recevaient des soins assidus et étaient bien traités, non seulement par le personnel du train, mais encore par le personnel sanitaire des gares que nous traversions. La consigne paraissait implacable : l’officier français, bien que malade, devait être abandonné à son malheureux sort. A Halle-sur-Saale. C’est dans ces conditions que je suis arrivé à Halle-sur-Saale le 12 décembre. Je fus, dès mon arrivée, transporté à l’hôpital auxiliaire. Après m’avoir fouillé, on me plaça dans une salle où se trouvaient un commandant français, un capitaine, deux lieutenants et une vingtaine d’hommes de troupe. Certes, c’était relativement propre, car quelques uns des soldats les mieux portants procédaient chaque jour au nettoyage. Mais, si nous avions des lits et des paillasses, nous n’avions pas de matelas et nous n’avions à notre disposition pour tout meuble, qu’un seau de tôle galvanisée sans rebord, dont l’usage était commun à toute la chambrée. Tout le monde souffrait de la mauvaise qualité des aliments. La nourriture se composait presque exclusivement de charcuterie froide, de pain gris et de pommes de terre bouillies : c’était ce qui constituait le régime. Mon séjour dans cet hôpital ne fut que de très courte durée. Le 1er janvier 1915, on m’envoya dans le camp de prisonniers qui se trouvait également à Halle. Dès mon entrée dans ce camp, on me fouille, on confisque mon rasoir, et je suis obligé de remettre à l’administration du camp les 340 francs en or que j’avais sur moi. Ce camp, dans lequel étaient internés 600 officiers et 30 ordonnances, était situé dans la rue Mersebourg, en pleine agglomération, au milieu d’un quartier industriel. Il était installé dans les bâtiments d’une ancienne usine de constructions mécaniques. Il y régnait, au moment de mon arrivée, une saleté repoussante et la vermine pullulait. On dût procéder à une désinfection générale, mais malgré toutes les précautions que l’on prit, on ne put pas obtenir beaucoup de propreté car tout était imprégné de poussière de charbon, cette poussière provenant des usines qui continuaient à fonctionner tout autour. L’aménagement du camp avait simplement consisté à construire un étage. On avait doublé la contenance des bâtiments, mais comme on n’avait pas voulu rehausser ces bâtiments, on n’avait laissé qu’une hauteur de plafond de deux mètres à peine. Le cubage d’air était insuffisant pour les officiers qui logeaient dans une même pièce et on était obligé, pour aérer, de casser les carreaux car les fenêtres ne pouvaient pas s’ouvrir. Dans le jour, il fallait entasser les lits les uns sur les autres, sans cela, il eut été impossible de circuler, tant l’espace était restreint. Ces lits n’avaient été donnés que le 1er janvier ; jusque là, nos camarades avaient été réduits à coucher par terre. Il n’y a jamais eu de matelas. La paille qui garnissait les paillasses et les traversins fut plus tard remplacée par les copeaux de bois. Vers la fin de mon séjour dans ce camp, on mit de la laine dans les traversins. Quant à la nourriture, elle était fournie par un cantinier qui nous vendait tout à des prix exorbitants. C’était d’ailleurs exécrable. Le pain était du pain complètement noir. La viande n’était pas de bonne qualité : elle nous était normalement servie sous forme de boulettes. On nous en donnait rarement des morceaux entiers et encore, remarquâmes nous, qu’il se dégageait de ces morceaux une odeur particulière et un vétérinaire Belge finit par s’apercevoir, en examinant un débris d’os, que c’était de la viande de chien. Personne ne voulut plus y toucher. Nous adressâmes une réclamation à ce sujet, cette réclamation porta ses fruits ; il ne nous fut plus présenté de la viande de cette sorte. Mais il était rare qu’on donnât satisfaction à nos demandes. Il était très dangereux de se plaindre, car l’administration Allemande, qui semblait s’entendre avec la cantine, essayait toujours de travestir les plaintes et de punir le plaignant. C’est ainsi que je faillis être traduit en Conseil de Guerre sous prétexte que j’avais proféré des injures contre les Allemands alors que j’avais simplement dit que les pommes de terre qu’on nous avait servies, n’étaient pas bonnes à donner à des animaux. Après de longs mois, le régime général du camp fut amélioré au point de vue de l’alimentation. Il avait été pendant longtemps défendu de se procurer du vin ou de la bière ; il fut plus tard permis d’en boire. D’autre part, vers le milieu du mois d’août, le cantinier fut supprimé et c’est une Commission composée de quatre officiers de nationalité différente (français, ruses, anglais et belges) qui s’occupa de notre alimentation. Cette commission n’était d’ailleurs pas libre de faire les achats qu’elle voulait ; elle ne pouvait, pour ses achats, se passer de l’intermédiaire d’un officier Allemand. Néanmoins ce changement constitua un progrès et nous permit de n’être pas exploités comme auparavant. C’est que nous ne disposions que de moyens très restreints car on ne nous autorisait à retirer que par petites fractions l’argent qui avait été trouvé sur nous et que détenait l’administration du camp. Nous étions obligés de nous nourrir et de nous entretenir à nos frais. La solde des lieutenants était de 6 marks par mois, et celle des capitaines et des officiers supérieurs était de 100 marks. Les lieutenants promus capitaines pendant leur captivité, ne se voyaient pas augmenter leur solde. On nous faisait payer très cher tout ce que nous achetions et l’administration du camp prélevait 10% sur toutes les dépenses que nous faisions. Elle couvrait, au moyen de prélèvements, tous les frais d’entretien du camp et elle s’en servait même pour payer le chauffage des officiers allemands qui étaient chargés de notre garde. Quelque peu pénible que fût notre sort au point de vue de l’alimentation, il ne pouvait être comparé au sort des malheureux soldats qui vivaient dans le camp qui n’était pas affecté aux officiers. Dans ces camps, les soldats souffraient de la faim. La nourriture y était insuffisante et très mauvaise. Ceux qui en venaient pour nous servir d’ordonnances, étaient tous anémiés par la vie de privation qu’ils avaient menée. Ils ne cessaient de se plaindre du régime auquel ils avaient été soumis et ils ne redoutaient rien tant que de voir arriver le jour où il leur fallait retourner dans les camps dont ils avaient conservé un douloureux souvenir. Mais, au point de vue morale, les officiers ne les cédaient en rien au camp des soldats. Les règlements étaient également draconiens partout et ils édictaient tous d’innombrables interdictions. On ne nous permettait pas de sortir, et pour s’assurer de notre présence, on faisait trois appels par jour. Le premier à 8 heures, le second à 16 heures et le troisième à 21 heures. Malheur à l’officier qui ne se rendait pas immédiatement à l’appel ; on le faisait aussitôt appréhender par les hommes de garde et on n’hésitait pas à le faire traduire en conseil de guerre pour refus d’obéissance. C’est ainsi que deux de nos camarades, les lieutenants Delcasse et Hervé, qui étaient malades, n’ayant pas pu descendre pour répondre à l’appel du matin, avaient été traînés dans la cour par des soldats. Ils furent tous les deux traduits devant le conseil de guerre et condamnés à un an de prison. C’était également par la peine de prison que l’on punissait les officiers qui n’étaient pas encore couchés lors du dernier appel de 21 heures. Des sanctions sévères étaient prises, lorsque par hasard, les dernières lumières n’étaient pas toutes éteintes, après la sortie de l’officier qui était venu procéder à l’appel du soir. Il y avait même parfois, des punitions collectives lorsqu’une infraction était relevée dont on ne pouvait déterminer l’auteur. Et nous étions tous rendus responsables de l’inconduite de l’un d’entre nous. L’administration du camp ne se contentait pas de promulguer des règlements et de les faire observer strictement, elle ne manquait pas de nous imposer toutes sortes d’humiliations. Les sentinelles nous appelaient en sifflant. Les communications nous étaient faites sur un ton arrogant. Les mesures les plus vexatoires étaient prises à notre égard. C’est ainsi qu’à propos d’une visite au camp que devait faire un général allemand, un lieutenant s’imagina de nous faire mettre sur deux rangs et d’obtenir de nous, au commandement, un mouvement d’ensemble qui consistait à tourner, tous en même temps, la tête du côté par lequel devait venir le général et à exécuter un salut réglementaire. La veille de la visite, il nous rassembla et après maintes explications, il voulut profiter de l’arrivée du major qui commandait le camp, pour faire une répétition générale. Personne ne bougea, cependant qu’il criait à tue-tête de saluer. Le major du camp salua et nous nous empressâmes à notre tour, de répondre à son salut. On procédait à des fouilles pour rechercher l’or, les objets précieux que nous pouvions avoir sur nous. Sans avis préalable on faisait passer des sous-officiers dans les chambres. Tout le monde devait descendre dans la cour. Là, des sentinelles, baïonnettes au canon, et des plantons qui tenaient en laisse des chiens de police, nous entouraient étroitement. Des policiers montaient alors dans les chambres et fouillaient nos affaires. Nous devions, nous-mêmes, subir le contact de leurs mains dans toutes nos poches et sur notre corps, on nous faisait déshabiller ensuite complètement. Ce régime ne pouvait manquer d’influer sur notre santé, ainsi il y avait beaucoup de malades. Moi-même, j’eus un gros abcès au mois de juillet. Je me présentais alors à la visite et le médecin reconnut qu’il y avait lieu de me faire subir une opération, mais on m’avertit, que comme il ne s’agissait pas d’une blessure de guerre, je devais payer les frais de mon hospitalisation qui s’élevaient à 250 marks. Ne pouvant pas disposer d’une pareille somme, je fis savoir en France, au général Hirschauer, quelles étaient les exigences des autorités allemandes et en même temps, j’adressais à ces autorités une demande en vue d’être opéré gratuitement. Cette demande fut accueillie et je fus envoyé à l’hôpital. Là, on essaya de me faire donner de l’argent, mais je déclarais que je n’avais rien à donner et on me laissa tranquille. Je fus installé dans une salle remplie de soldats, qui, bien que malades, n’avaient même pas de matelas à leur lit. Ces soldats étaient très mal soignés, leurs pansements n’étaient que rarement changés et on leur donnait de la très mauvaise nourriture. Il y avait là, beaucoup de soldats qui avaient été victimes d’accidents dans les usines dans lesquelles on les faisait travailler. Ces accidents étaient très fréquents dans les usines de Halle, car aucune mesure de sécurité n’était prise dans les usines et cependant, malgré le danger qu’ils couraient, les soldats préféraient aller travailler que rester dans les camps. Ils racontaient combien ils avaient été mal soignés dans ces camps lorsqu’ils y étaient tombés malades, et certains d’entre eux avaient vu les médecins allemands s’empresser d’abandonner les camps qui leur étaient confiés dès qu’il s’y déclarait une épidémie. Quant à moi, je n’ai pas eu à me plaindre des soins qui m’ont été donnés à l’hôpital et je revins au camp le 1er octobre, complètement guéri. Quelques jours après mon retour, je reçus de l’ambassade d’Espagne, un mandat de 500 francs que m’envoyait le gouvernement français pour payer les frais de mon opération. Je m’empressais d’en accuser réception à l’ambassade d’Espagne et je l’avisai en même temps, que j’avais été opéré gratuitement. Le major du camp me fit appeler et me demanda à quel titre ce mandat m’avait été envoyé, si c’était comme secours ou comme solde. Je lui répondis que c’était probablement au titre de ma solde. Il me fit alors signer un certificat par lequel je reconnaissais que j’avais été très bien soigné et que j’avais été opéré gratuitement. Lorsqu’il eut ce certificat, il s’empressa d’expédier à Berlin les 500 francs que j’avais reçus et que l’on avait tout d’abord inscrits sur mon compte personnel. Indigné de cette façon d’agir, et ne voulant pas que cet argent put profiter au gouvernement allemand, j’adressais à ce sujet le 26 novembre, une réclamation à l’ambassadeur d’Espagne. Celui-ci m’a répondu le 26 février qu’il allait faire des démarches nécessaires pour faire renvoyer les 500 franc en France. A Ingolstadt : Lorsqu’on me demanda quels étaient les officiers qui voulaient changer de camp, je m’empressais de donner mon nom. Certes, j’ignorais ce que me réservait ce changement, mais je ne me résignais pas à rester étranger à la guerre et j’espérais toujours me trouver dans des conditions plus favorables qu’à Halle, pour pouvoir tenter une évasion avec quelques chances de succès. Je fus envoyé au camp d’Ingolstadt le 5 février 1916. Là, je fus interné au fort Prinz Karl. Le logement était meilleur qu’à Halle. On n’était que 5 officiers par casemate et certains d’entre nous avaient des matelas dans leur literie. Mais la nourriture était détestable. La soupe se composait de grains de blé bouilli, d’un peu de farine de maïs et de quelques pommes de terre. Il n’y avait ni sucre, ni lait, ni graisse. De temps en temps un petit morceau de viande, mais le plus souvent, un simple morceau de hareng. La bière qu’on se procurait n’était pas bonne. On ne pouvait acheter qu’une bouteille de mauvais vin chaque dimanche. Le pain qu’on nous donnait était meilleur que celui que nous avions à Halle. La ration journalière s’élevait à 200 grammes. Les consignes étaient minutieuses. Les sentinelles avaient reçu l’ordre de tirer sur les officiers sans avertissement préalable et elles n’hésitaient pas à le faire dès que l’occasion leur en était donnée. Le régime du camp était très sévère. Ainsi, que d’un groupe de 6 officiers se rendant à la douche, stationnant devant la porte qui donnait accès à la salle de douche, l’un d’eux se détacha pour demander au corps de garde que le planton vint ouvrir cette porte. Il avait à peine fait quelques pas dans la direction du poste de police que la sentinelle qui se trouvait à 5 mètres de là, fit feu sur lui. Il faillit arriver malheur, dans ces circonstances analogues, au capitaine Zédé qui avait dépassé de 1 mètre, tout en restant à l’intérieur du fort, la ligne arrière de laquelle nous devions nous tenir. On nous proposa bien de nous laisser sortir, mais à condition que nous donnions notre parole d’honneur de ne pas nous évader et il était entendu que dans nos promenades, nous serions gardé par les sentinelles, baïonnette au canon. Nous estimâmes que nous ne devions pas accepter de pareilles propositions. Le fort était situé à 8,5km de la gare. On allait chercher les vivres dont on avait besoin et les colis des officiers, avec une énorme charrette à quatre roues, munie d’un timon qui ne pouvait être normalement traîné que par 4 chevaux. C’était des soldats prisonniers que l’on attelait à cette charrette en les harnachant avec des cordes. Ils revenaient chaque jour de ce long trajet de 17 kilomètres, complètement exténués de fatigue. Il semble que les Allemands n’aient eu aucun scrupule à employer les prisonniers comme des bêtes de somme. On pouvait voir dans les champs les soldats Russes, tirer péniblement des charrues sous la direction de cultivateurs allemands. Les tableaux de misère que l’on avait sous les yeux ne faisaient qu’augmenter encore l’état de dénuement moral et physique dans lequel nous mettait notre lamentable existence de prisonnier de guerre. Mon évasion : J’étais hanté du désir de servir mon pays, et je ne pouvais supporter l’inaction à laquelle j’étais réduit. Je ne cessais de rechercher avec le lieutenant Pinsard par quels moyens nous pourrions arriver à mettre un terme à notre captivité. Au camp de Halle, nous avions élaboré plusieurs projets d’évasion mais aucun de ces projets ne pût être réalisé. Les préparatifs que nous faisions étaient chaque fois découverts par l’administration du camp qui paraissait être tenue très exactement au courant de tout ce que nous faisions et de tout ce que nous disions. D’ailleurs Halle était trop éloignée de la frontière pour qu’une tentative d’évasion eût quelque chance d’être menée à bonne fin. Il aurait fallu prendre le train pour arriver à s’échapper et on n’eût pas manqué de courir de grands risques pendant le trajet en chemin de fer. D’autre part, comme le camp de Halle était au milieu de l’agglomération, il eût été difficile de sortir de la ville avant que l’éveil ne fut donné. A Ingolstadt, la situation n’était pas la même. Le fort se trouvait en dehors de toute agglomération et si la frontière Suisse n’était pas à proximité, elle n’en était pas à une trop grande distance. Les officiers qui étaient internés dans ce fort au moment de mon arrivée, estimaient qu’on pouvait tenter une évasion avec quelques chances de succès. Après de minutieuses observations, ils avaient remarqué le défaut de surveillance qui ne manquait pas de se produire le soir, au moment de la relève des sentinelles. A 18 heures, en effet, les sentinelles occupaient les fossés. Or, les premières se retiraient avant que les autres ne fussent arrivées à leurs postes. Il y avait, dans ces conditions, une interruption de quelques instants dans le service de garde et c’est cette interruption que quelques officiers mirent à profit, le 20 février, pour sortir du camp. Ils avaient pénétré dans le fossé en se glissant par une ouverture dont ils avaient au préalable descellé le grillage. Et après avoir utilisé l’échelle que nous leur avions fait passer, ils s’étaient évadés. Malheureusement, le mauvais temps les empêcha de gagner assez rapidement la frontière. Ils furent repris et envoyés dans un autre camp. Cette évasion éveilla l’attention des autorités allemandes qui ne manquèrent pas de prendre les précautions nécessaires pour empêcher toute nouvelle tentative. La relève des sentinelles se fit désormais plus régulièrement. Les sentinelles placées sur le glacis ne se retirèrent que lorsque les autres sentinelles furent à leur poste dans le fossé. Il y eut fréquemment des rondes à l’intérieur et à l’extérieur du fort et on établit un réseau de fils de fers barbelés munis de sonnettes que le moindre heurt mettait en action. Nous nous trouvions en présence de nouvelles difficultés, mais rien ne pouvait nous rebuter. Nous instituâmes une équipe de quatre officiers. Notre premier soin fut de nous munir de tout ce qui était indispensable d’avoir dans une pareille aventure. Les vivres qui devaient assurer notre subsistance pendant le trajet furent prélevées sur les colis qui nous parvenaient. J’avais conservé mes vêtements de cuir et une ordonnance m’avait donné sa casquette ; quant au lieutenant Pinsard, il avait trouvé des effets civils dans les boîtes de jambon qu’on lui avait envoyées. Enfin un officier Anglais nous avait donné une excellente boussole et nous avions découvert dans l’une des pièces du fort, une carte au 320 000ème que le lieutenant Pinsard s’était chargé de copier en la décalquant sur du papier huilé. Il ne nous restait plus qu’à confectionner une échelle pour pouvoir franchir le mur et le talus qui se trouvaient de l’autre côté du fossé. On utilisa les cordes qui entouraient les colis que nous recevions et on transforma en échelons les barreaux d’une chaise longue. Il fallut, pour pouvoir accrocher cette échelle, avoir une perche de même longueur. Cette perche fut constituée au moyen de deux morceaux de bois de 3 mètres chacun, pouvant s’emboiter l’un dans l’autre. Notre projet consistait à sortir pendant la nuit, en passant par la caponnière située sur la face nord du fort et dans laquelle était installée la chapelle. Mais les sentinelles étaient tellement vigilantes qu’il nous fut impossible de tromper leur surveillance et nous dûmes renoncer à exécuter ce projet. Cette tentative nous avait, du moins, permis de constater qu’il était difficile de sortir tous les quatre en même temps. Aussi décidâmes-nous de nous évader par équipe de deux, la deuxième équipe ne devant partir qu’un jour après la première. D’autre part, il fut convenu que dans chacune de ces équipes nouvelles, celui qui pourrait s’échapper par ses propres moyens ne devrait pas hésiter à abandonner son camarade. La tentative que nous allions faire nous paraissait tellement téméraire qu’il fallait ménager les moindres chances de succès qui pouvaient se présenter, même si cette chance ne profitait qu’à un seul d’entre nous. L’expérience que nous avions faite, nous avait démontré qu’il était difficile d’accrocher une échelle, même avec une perche. Aussi décidâmes-nous d’avoir recours à une échelle rigide en bois ; mais la grande question était de se procurer le bois nécessaire. L’idée m’est venue qu’on pouvait se servir de lattes qui composaient le plancher d’une salle de douche. Il ne fallait pas songer à utiliser une échelle de 6 mètres qui aurait été d’une seule pièce ; il eut été difficile de la cacher dans la chambre et il eut été impossible de la transporter à travers les couloirs étroits et tortueux du fort. On confectionna deux tronçons d’échelle de 3 mètres chacun qui pouvaient s’emboîter l’un dans l’autre. Après avoir bien étudié la question, nous nous arrêtâmes à un plan d’évasion qui consistait à sortir par la face … du fort. Comme de ce côté, le fort était entouré de deux fossés séparés par un mur élevé, on n’avait pas cru utile d’y établir un réseau de fil de fer barbelé. D’autre part, il y avait une fenêtre dans une caponnière et presque en face de cette fenêtre se trouvait une porte encastrée dans l’épaisseur du mur qui séparait les deux fossés. Par cette fenêtre et par cette porte, nous pouvions monter sur les talus extérieurs et le glacis. Ce qui était le plus difficile, c’était de franchir tous les obstacles que nous allions rencontrer sans être vus par les sentinelles qui montaient la garde et qui du haut du glacis exerçaient leur surveillance sur les fossés. Après de multiples observations, nous pûmes constater qu’entre deux de ces sentinelles, il y avait un endroit qui ne pouvait pas être vu d’elles, lorsque dans leur promenade, elles marchaient en sens inverse l’une de l’autre. Cet endroit d’ailleurs, ne restait en dehors de leur surveillance, que peu de temps, environ deux minutes ; il fallait profiter de cet instant pour passer. Nous décidâmes de partir en plein jour. Nous ne pouvions aller dans les caponnières, à l’extrémité des couloirs, que pendant le jour, et l’exécution de notre plan exigeait que nous fussions tout le temps tenus au courant du va et vient des sentinelles. Les camarades qui s’étaient chargés de les observer et de nous avertir, ne pouvaient communiquer avec nous qu’en faisant des signaux convenus. Il eut été impossible d’établir de nuit de pareilles communications. C’est le dimanche 26 février, à 15h30, que le lieutenant Pinsard et moi, nous avions commencé à mettre à exécution le projet que nous avions élaboré. Nous avions déjà fait tous les préparatifs nécessaires. Le lieutenant Pinsard avait scié les barreaux de fer dont était munie la fenêtre par laquelle nous devions passer, et il nous avait fallu plusieurs fois pénétrer par cette fenêtre dans le premier fossé, pour ajuster et faire fonctionner le crochet qui devait nous permettre d’ouvrir la porte donnant accès dans le fossé extérieur. Il ne nous restait donc plus pour sortir du fort, qu’à profiter du moment favorable et escalader, à l’aide de notre échelle, le mur élevé qui se dressait à l’extérieur. C’était au-dessus de ce mur, sur le talus de terre qui le surmontait, que se tenaient les sentinelles. Deux groupes d’officiers se chargèrent de surveiller ces sentinelles et en particulier les deux entre lesquelles nous devions passer. Ces officiers faisaient semblant d’avoir une conversation animée. Au moyen de commandements d’artillerie dont nous étions convenus, ils nous ont signalé une première fois, dès que les positions des sentinelles leur ont paru de nature à nous permettre d’exécuter nos desseins, la possibilité pour nous, de nous glisser par la fenêtre derrière le mur d’escarpe, de déposer dans le fossé l’échelle ainsi que les sacs de vivres que nous devions emporter, et de procéder au crochetage de la porte. C’est cachés à l’abri du renfoncement dans lequel était encastrée cette porte, que nous dûmes attendre le signal avant d’aller plus en avant. Dès que ce second signal fut fait, nous nous sommes précipités tous deux, avec le camarade qui nous accompagnait. Nous avons adossé l’échelle contre le mur extérieur et j’ai moi-même vivement gagné le glacis en escaladant cette échelle. Mais le lieutenant Pinsard ne put arriver à me suivre jusqu’au bout. Au moment où il se trouvait à mi-hauteur de l’échelle, nos camarades qui observaient, firent signe que l’une des sentinelles n’était pas allée jusqu’au bout de sa promenade habituelle et qu’elle s’était retournée brusquement. Le lieutenant Pinsard n’hésita pas à redescendre immédiatement de l’échelle, à poser cette échelle dans le fossé et à se cacher lui-même derrière la porte, à l’abri de l’épaisseur du mur. Il profita, un quart d’heure après, de l’éloignement des sentinelles pour me rejoindre et pour gagner, en rampant, le boqueteau de sapins dans lequel je m’étais réfugié. Il est probable que le lieutenant ….. qui nous avait accompagné jusqu’au fossé extérieur pour nous aider, a pu retirer l’échelle comme il s’était chargé de le faire. Cette échelle devait lui servir à lui et au lieutenant ….. , pour l’évasion qu’ils avaient projeté de tenter le lendemain. Quant à nous, nous restâmes allongé dans le bois jusqu’à la fin du jour. Il était environ 18 heures lorsqu’un civil s’approcha de nous et nous salua. Il nous parla, mais nous ne comprîmes rien à ce qu’il dit, nous contentant de lui répondre affirmativement. Il s’éloigna ensuite en se retournant de temps en temps. Nous crûmes qu’il allait nous dénoncer et mon camarade n’hésita pas à se débarrasser du couteau à cran qu’il avait sur lui et qui risquait de le compromettre au cas où il serait pris. Il me semble que cette précaution était inutile, et je me chargeais de ce couteau qui pouvait nous être utile au cours de notre voyage. Dès que les sentinelles ne furent plus au haut du glacis, nous nous empressâmes de gagner un bois qui était au nord-est, c'est-à-dire du côté opposé à la direction que nous devions suivre pour nous rapprocher de la frontière. Dans notre première étape, il nous fut facile de nous orienter en prenant pour point de repère les lumières d’Ingolstadt. Voici l’itinéraire que nous avons suivi : 1ère étape : Diming, Kosching, Hepberg, Westettem, Eclcenzell, Highofen. 2ème étape : Tauberfel, Unter, Nolcen, Prielhof, Huttaigen. 3ème étape : Ellenbruin, Nauern, Renerskofen, Bertoldun, Marthein, Lechesend, Gainsbach. 4ème étape : Kaishein, Guzenhein, Amerdingen, Trugenhofen. 5ème étape : Warxhofen, Ringingen, Datten. 6ème étape : Hausen, Altemberg, Staufen, Guigen. 7ème étape : Hermaringen, Burberg, Lenthal, Estetten, Affilingen, Pommingen, Langueneau. 8ème étape : Bernatait, Belmarstetten, Dornstatt, Bollingen, Bormaringen, Asah. 9ème étape : Blaubeurent, Seissex, Suissen, Scakenhef, Justingen, Hutten, Gundershofen, Theifon, Hulen, Grauhein. 10ème étape : Erbstetten, Vilzingen, Emeringen, Bach, Dongenderf, Riedlingen, Althoin. 11ème étape : Valdhausen, Landanhof, Binservangen, (Traversée du Danube), Mengen Grauhein, Rona, Nolleschies. 12ème étape : Plulendorf, Ruhestetten (Perte de direction). Marche sur le sud-est, 15km à l’est de Stoclcach, redressons à la boussole, arrivons dans la matinée sur le lac de Constance entre Sippeingen et Ludwignhafen. 13ème étape : Ludwignhafen, Espisingen, Walwies, Orsingen, Steissllingen, Singen, Eburingen. 14ème étape : Traversée de la frontière, Thaigen, Stetten, Herblingen, Shaffouse. Nous ne marchions que la nuit et nous nous reposions pendant le jour. Nous n’avions besoin de recourir à personne, car nous avions emporté dans nos sacs tout ce qui nous était nécessaire. Aussi, pouvions-nous contourner les agglomérations, nous évitions également les ponts, les passages à niveau, nous traversions toujours les chemins de fer en pleine voie. C’était grâce à notre boussole que nous nous orientâmes et nous profitions des indications que nous trouvions sur les poteaux indicateurs. Les nuits étaient très obscures, aussi avions-nous beaucoup de peine à trouver les traces de notre chemin. Il nous est arrivé certaines nuits, de nous heurter à des rochers et à des obstacles qui nous empêchaient d’avancer. Un jour, pour pouvoir rattraper le temps que nous avions perdu pendant la nuit, nous essayâmes le matin, au moment du lever du jour, de franchir un endroit découvert qui nous séparait d’un bois situé en face de l’endroit où nous nous trouvions. Un laboureur nous aperçut, et son attention est tellement éveillée par notre vue, qu’il cesse tout travail et ne nous quitte pas du regard. Je rejoins immédiatement le lieutenant Pinsard qui marchait en avant et nous n’hésitions pas à nous diriger vers une usine qui était non loin de là, et qui paraissait être en pleine activité. Nous sommes restés à plat ventre, cachés de 7 heures du matin à 20 heures du soir, dans le jardin de cette usine. Nous étions à quelques mètres des ouvriers qui allaient et venaient et passaient à chaque instant à côté de nous. Ce fut une journée interminable à passer. Heureusement qu’il n’arriva rien de fâcheux pour nous. Le paysan dont nous avions attiré l’attention avait sans doute été rassuré en nous voyant aller à l’usine. Il avait cru que nous allions y travailler et tous les soupçons qu’il avait sur nous étaient tombés. La nuit, nous ne rencontrions presque personne, et lorsque nous ne pouvions pas éviter de croiser des gens, nous nous contentions de leur dire en passant nos souhaits, comme il est d’usage en Allemagne. Nous escomptions ne mettre que 12 jours et nous fûmes obligés d’économiser nos vivres, à raison de l’allongement de notre voyage. Le 15ème jour, nous arrivons à 1 heure du matin à Singen. Nous étions décidés à passer la frontière Suisse au sud-est de cette ville. Nous suivions alors la voie ferrée qui va à Sehafousse. Cette voie se trouve en déblai et on pouvait nous prendre pour des ouvriers qui se rendaient à des travaux de réfection des rails. Nous montons sur un pont pour examiner à quel endroit nous sommes. A peine étions-nous sur ce pont, qu’un chien se jette sur nous en aboyant. Nous nous précipitons aussitôt dans le bois qui se trouvait à côté, mais dans ce bois, nous somme également poursuivis par des chiens qui appartenaient sans doute aux douaniers. Dès que nous le pouvons, nous frottons nos chaussures avec de l’ail que nous avions emporté à cet effet et nous semons des grains de poivre sur notre passage. Nous arrivons ainsi à gagner, sans être inquiétés, la lisière sud-ouest du bois, dans la direction de Schaffouse. Le village Suisse de Taigen se trouvait à environ 3 kilomètres de l’endroit où nous étions, et un peu avant d’arriver à la frontière, il y avait une ligne de guérites que nous aperçûmes au moment du lever du soleil. Ces guérites marquaient l’emplacement des postes de sentinelles qui étaient placées à 200 mètres les unes des autres. Ces sentinelles montaient bonne garde et il ne fallait pas songer à sortir du bois avant la nuit. Nous étions dans un état de nervosité telle, si près du but à atteindre, qu’il nous fût impossible de dormir ce jour là et de nous reposer. Vers 19 heures, un soldat est venu dans le bois, tout près de nous, il ne nous a pas vu, mais si par hasard il nous avait aperçu, nous n’aurions pas hésité à nous débarrasser de lui. Ce n’est qu’à 20 heures que l’obscurité nous parut suffisante pour nous permettre de nous aventurer hors du bois. La lune venait de se lever, elle éclairait la ligne des sentinelles qui se détachaient comme des points noirs faisant nettement apparaître la blancheur de la route derrière laquelle elles se trouvaient. Il fut impossible de se risquer avant 2 heures du matin, le clair de lune ne permettant pas, jusqu’à cette heure, de se dissimuler. Dès que l’obscurité fut suffisante, nous commençâmes à ramper en retenant notre respiration. Tout à coup, nous nous trouvons en face d’une petite masse noire que nous reconnaissons être une guérite. Nous obliquons à gauche, nous glissons sur la route non loin de la sentinelle qui se tenait devant la guérite, nous entendions battre notre cœur dans la poitrine et nous rampons ainsi à plat ventre pendant environ 150 mètres. A ce moment là, nous étions à l’abri des vues des sentinelles, nous nous relevons et nous serrons la main avec effusion. Il ne s’agissait plus pour nous que d’éviter les douaniers Suisses. Nous avons traversé sans incident le village de Taingen. Malheureusement, nous nous trouvions dans un état de faiblesses extrême, et il nous fallait nous arrêter à chaque instant pour reprendre haleine. L’effort que nous avions fait nous avait épuisé, et depuis que nous nous sentions en sécurité, nos forces nous abandonnaient peu à peu. Nous nous sommes traînés comme nous avons pu jusqu’à la gare de Schaffouse. Nous étions tiraillés par la faim et nous nous sommes restaurés abondamment au buffet. Le train que nous avons pris nous a permis d’arriver à Genève à 13h15. Notre premier souhait dans cette ville a été d’aller au consulat de France. En montant en voiture pour nous y rendre, un gendarme s’est avancé vers nous et nous a demandé si nous nous trouvions mieux en Suisse qu’en Allemagne. Nous n’avons pas voulu lui répondre et nous avons donné l’ordre au cocher de nous conduire le plus tôt possible à l’endroit que nous lui avions indiqué. Le vice-consul de France, monsieur Farcioli, nous fit le meilleur accueil. Il nous recommanda de ne pas prolonger notre séjour en Suisse et il tint à nous accompagner lui-même en automobile jusqu’à Annemasse où il nous présenta aux autorités militaires. Monsieur Fracioli, le commandant Gourquet et les officiers qui nous ont reçus à Annemasse, ont été les témoins de la grande foi dont débordaient nos cœurs au moment où nous pénétrions sur le sol français. Nous avions toutes les peines à contenir notre émotion. Nous avions atteint le but que nous poursuivions depuis si longtemps et nous allions enfin pouvoir servir notre pays. A cette pensée, nous étions si heureux que nous ne songions plus aux longs mois de tristesse que nous avions vécues. Et nous eussions compétemment oublié nos souffrances si le souvenir des malheureux camarades que nous avions laissé là-bas, dans ce pays de haine et de désolation, n’était venu nous rappeler notre douloureux calvaire".
(Document familial, transmis par Bruno Baverel)
Inscription sur le caveau familial: Victor Ménard 8/6/81 13/4/54 Colonel de l'Armée de l'Air Grand officier de la Légion d'Honneur Croix de guerre 14/18 et 39/40 9 palmes Pionnier de l'aviation Atterit le Premier à Rochefort sa ville natale en 1911.
|
|